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§ 3. — La campagne d’hiver en 1800.

L’armistice était à peine signé que déjà l’Autriche passait avec l’Angleterre un traité de subsides, et, moyennant 2 500 000 livres, s’engageait à ne pas faire la paix avant la fin du mois de février 1801. En même temps, l’empereur se retournait vers Bonaparte, et lui écrivait, le 5 juillet, pour lui exprimer dans quelles conditions il admettait que la pacification pût se faire. C’était un réquisitoire contre la politique de conquête suivie par la France : «… Il n’y a plus d’équilibre en Europe dès qu’il faut que plusieurs États s’unissent pour résister à un seul ; que serait-ce donc si cette puissance (la France) ajoutait encore à son ancienne prépondérance l’accroissement inouï de conquêtes immenses et s’appropriait de plus une influence décisive sur la plupart des autres États ? Proposer la paix à de telles conditions, ce ne serait plus rien faire d’utile pour l’humanité. » Ainsi, malgré Marengo et malgré les succès français en Allemagne, ce que demande l’Autriche pour conclure la paix, c’est le retour de la France à ses anciennes limites, l’évacuation de l’Italie et l’abandon de la suprématie sur les pays voisins. L’empereur ne se contenta pas d’adresser cette lettre au Premier Consul, il envoya auprès de lui le général-major comte de Saint-Julien, en expliquant de la sorte son rôle : « Il est chargé de mes instructions pour vous faire observer combien il est essentiel de n’en venir à des négociations publiques et d’apparat… qu’après avoir connu d’une manière au moins générale si les bases que vous voulez proposer pour la paix sont telles qu’on puisse se flatter d’obtenir ce but désirable ». Saint-Julien avait reçu de son maître un pli secret, qu’il devait ouvrir à Paris. Il portait, au lieu des pouvoirs pour traiter, défense d’entreprendre aucune négociation et ordre de travailler simplement à connaître les intentions de Bonaparte et de tout faire pour gagner du temps. L’histoire de ce que l’on appelle la « négociation de Saint-Julien[1] » est des plus extraordinaires. Ce plénipotentiaire, qui n’en était pas un, fut entrepris de la belle manière par Talleyrand et Bonaparte et, venu avec des instructions qui, non seulement indiquaient qu’il n’avait pas à négocier, mais qui lui interdisaient formellement de le faire, il trouva dans les affirmations de Talleyrand l’assurance qu’il avait pleins pouvoirs, tant et si bien que des préliminaires furent signés le 28 juillet sur la base du traité de Campo-Formio, la France gardant toute la rive gauche du Rhin, depuis la Suisse jusqu’à la Hollande, l’empereur se dédommageant en Italie. Duroc partit pour Vienne afin de porter les ratifications[2]. Mais le dénouement approchait : lorsque Saint-Julien arriva dans sa capitale (5 août), lorsque Thugut, ministre des affaires étran-

  1. Les sources sont dans Du Casse, Négociations de Lunéville. Voir : Fournier, Skissen, Die Mixtion des Grafen Saint-Julien. Sorel, L’Europe et la Révolution française, sixième partie, pp. 53-64.
  2. Duroc fut retenu à Braunau par la police.