Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/129

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comme infâme qu’on ait abandonné l’Égypte ». Ce mot, sous sa plume, n’est-il pas d’une ironie terrible ?… Du reste Kléber « n’abandonna pas l’Égypte. L’amiral anglais Keith, conformément à des instructions reçues de Londres, refusa de ratifier la convention signée sans pouvoirs suffisants par Sydney Smith. Il demanda la reddition sans condition. Kléber, qui déjà avait évacué le Caire, communiqua aux troupes la lettre de l’amiral anglais, ajoutant : « Soldats, on ne répond à de telles insolences que par des victoires ; préparez-vous à combattre ». Il avait sous la main 12 000 hommes qu’il lança contre 70 000 Égyptiens commandés par le grand vizir Youssouf. La victoire remportée à Héliopolis (20 mars 1800) fut complète, et l’Égypte reconquise, tant par les armes, qui nous redonnèrent bientôt le Caire, que par l’attitude empreinte de générosité et de grandeur d’âme qui fut l’honneur du général en chef. Assisté par Mourad-bey, un chef musulman devenu son plus fidèle allié après avoir été son plus terrible adversaire, Kléber entreprit une réorganisation complète de l’Égypte qui force l’admiration. C’est au moment où il travaillait ainsi pour le plus grand bien du pays qu’il occupait, et qu’il entamait d’autre part des négociations nouvelles pour sortir sans dommage de la situation qu’il devinait, malgré son succès passager et éclatant, comme périlleuse et devant, en fin de compte, s’achever dans une catastrophe, qu’il tomba frappé à coups de poignard par un fanatique appelé Soliman. Desaix mourait le même jour à Marengo (14 juin 1800).

L’ancienneté du grade porta Menou, Abdallah Menou — car il avait épousé une Égyptienne et s’était fait musulman — à la place de Kléber. Son commandement fut marqué surtout par la quantité très considérable de paperasses qu’il a laissées. Il a légiféré sur tout, renversé les usages indigènes, réformé l’administration tant civile que militaire, il a harangué, paradé, froissant tout le monde ou à peu près, sans prendre en réalité aucune mesure sérieuse et utile. Pourtant le danger prévu par Kléber était imminent. Les Anglais, décidés à en finir avec une armée pour ainsi dire insignifiante, préparaient la campagne définitive qui devait chasser les Français. Trois armées ennemies, au printemps de 1801, s’avançaient sur l’Égypte : les Turcs, par la Syrie, avec 40 000 hommes ; les Anglais, sous le commandement d’Abercromby, par la Méditerranée, avec 20 000 hommes ; les Cipayes, enfin, par la mer Rouge, avec 10 000 hommes. Menou, obligé de diviser ses forces pour garder des villes prêtes à se révolter, ne put opposer à Abercromby, débarqué le 5 mars 1801 à Aboukir, que 8 000 hommes. Ils furent impuissants, et la retraite dut s’accentuer encore après un combat acharné qui vit la mort du chef anglais à Canope (21 mars). Bientôt Belliard fut enfermé au Caire avec quelques milliers de soldats par 40 000 Anglais ou Turcs, tandis que Menou lui-même était assiégé dans Alexandrie. C’était la fin. Ganteaume, échappé de Brest pendant une tempête, avait passé le détroit de Gibraltar et tenté de secourir l’armée d’Égypte ; mais, se heurtant à l’escadre solide de l’amiral Warren, il