Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/134

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Le 25 juin, Hawkesbury demande la restitution de Nice et du Piémont[1], l’indépendance de l’Italie, l’évacuation de l’Égypte et de Naples, le retour de la Toscane à l’Autriche, l’évacuation du Portugal… En résumé, l’Angleterre se croyait alors assez forte pour remanier seule le traité de Lunéville, réfréner la puissance française et se poser à la fois comme médiatrice sur le continent et dominatrice incontestée sur les mers. On n’ose pas dire que ce soit tout à fait ainsi qu’en réalité le gouvernement de Londres raisonnait et il est probable qu’il montrait alors une assurance plus feinte que réelle. En peu de mois, du reste, il dut changer son attitude. Bonaparte, violentant la maison d’Espagne et malmenant Godoy, favori de la cour de Madrid, avait accéléré les opérations contre le Portugal, fait signer, après le traité de Badajoz estimé insuffisant, le traité de Madrid (29 septembre 1801). Les Portugais, menacés par Leclerc et Bernadotte, déclaraient fermer définitivement leur pays à l’Angleterre, donnaient à la République une partie de la Guyane et vingt millions de contribution de guerre. Le 1er octobre, ce sont les États-Unis d’Amérique qui, par le traité de Morfontaine, reconnaissent le droit des neutres. Le 8 octobre, c’est le tsar lui-même, Alexandre Ier, qui traite à Paris… Cette paix avec la Russie se préparait depuis quelque temps. Le tsar avait envoyé à Paris le très retors, très laid et très écrasant Markof, avec mission de morigéner un peu le premier consul quelque peu méprisé à la cour de Russie. Le principal pour Talleyrand et Bonaparte était d’avoir auprès d’eux un ambassadeur qui devait faire la paix. Quant au reste, remontrances, reproches, conseils, ils s’arrangeraient toujours pour en faire aussi peu de cas que possible. Lorsque la paix avec la Russie fut conclue les préliminaires de Londres étaient signés depuis quelques jours, et il se trouva qu’ils l’influencèrent autant que sa préparation les avait influencés eux-mêmes. La France et la Russie déclaraient s’entendre pour le règlement amiable des questions intéressant l’Italie. Les États du roi de Naples furent garantis et l’occupation française en fut limitée au temps nécessaire qu’il faudrait laisser s’écouler avant le règlement du sort de l’Égypte. La Russie s’engageait à s’interposer entre la République et le gouvernement ottoman pour rétablir la paix. En conclusion, le premier consul et l’empereur déclaraient vouloir s’occuper « en commun des moyens de consolider la paix générale sur les bases susmentionnées, de rétablir un juste équilibre dans les différentes parties du monde et d’assurer la liberté des mers ».

La paix se généralisait donc autour de l’Angleterre et — surprise étonnante — la guerre était préparée en vue même de ses côtes ! C’est en effet, à la fin de ce paragraphe que nous avons intitulé : « La Défense de Bonaparte » et au moment même où nous touchons à la paix que se place une

  1. Le Piémont avait été annexé par arrêté du 2 avril 1801 et organisé comme toutes les autres parties du territoire français.