Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/136

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sation des navires de la compagnie des Indes y répondirent. Nelson partit pour bombarder Boulogne et anéantir la flotte menaçante. Mais Latouche-Treville était prêt à le recevoir et deux fois, du 4 au 15 août, l’amiral anglais échoua dans ses tentatives et fut vigoureusement repoussé… »

La situation change bien alors. Otto, notre négociateur à Londres, reçoit des instructions fermes. Bonaparte écrit à Talleyrand, le 17 septembre, qu’il faut envoyer un véritable ultimatum à Londres. « Il faut que les préliminaires soient signés dans la première décade de vendémiaire ou que les négociations soient rompues.

§ 3. — La paix d’Amiens.

Les préliminaires furent signés à Londres, le 1er octobre 1801, entre Otto et lord Hawkesbury. La nouvelle en fut accueillie à Londres avec les éclats d’une joie exubérante. C’en était fait des cauchemars de l’invasion ! L’Angleterre allait pouvoir dormir en sécurité, se réveiller sans frisson à l’annonce possible d’un débarquement de Bonaparte. Les affaires allaient reprendre. Le marché français paierait aux produits anglais une prime qui vaudrait toutes les plus fortes contributions de guerre. « Notre commerce, écrivait lord Minto, alors ambassadeur à Vienne, va pénétrer jusqu’en France même et fleurir à Paris. » Enfin, c’était Paris qui se rouvrait, aux ennuyés et aux curieux ; l’Italie aux affamés de soleil, à la tribu errante des mélancoliques qui se mouraient de spleen en leurs châteaux embrumés. Tous les oiseaux captifs au pays du brouillard secouaient leurs ailes humides et se disposaient à prendre leur vol vers les régions de joie et de clarté.[1] » Le colonel Lauriston, envoyé à Londres pour porter les ratifications, vit le peuple dételer sa voiture et la traîner en criant : « Vive Bonaparte ! » Il faut voir dans cette explosion de contentement la manifestation de l’incroyable détente qui se produisit alors. Pitt, détesté du roi George et l’âme de toute résistance acharnée à la France et à Bonaparte, était tombé du pouvoir sur une question de politique intérieure en février 1801 et Addington — avec Hawkesbury aux Affaires étrangères — avait, dès son arrivée au pouvoir, offert la paix à la France (20 mars 1801), ne reprenant la guerre vigoureusement que parce que le premier consul voulait l’Égypte. Cette chute de Pill avait donc été un coup très sensible au parti de la guerre. Quant à la situation réelle de l’Angleterre, quant à son état matériel, il est assez difficile de se rendre exactement compte de ce qu’il était. La puissance commerciale de la Grande-Bretagne était considérable, cela est vrai, et la flotte, qui était l’agent principal de cette puissance, était très développée. Mais on ne peut perdre de vue que la dette était accrue de plusieurs milliards,ce qui déterminait par contre-coup

  1. Sorel, op. cit., p. 166.