Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/141

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tionales. Enfin, vous n’avez pas d’armée… mais vous avez ce qui peut la produire, une population nombreuse, des campagnes fertiles et l’exemple qu’a donné, dans toutes les circonstances essentielles, le premier peuple de l’Europe. » On peut affirmer que Bonaparte, s’il était accessible au « sentiment », était sincère lorsqu’il flattait les Italiens en leur tenant ce langage et lorsqu’il exaltait leur patriotisme et leur orgueil national. Il avait certainement plus d’affinités l’attirant vers les Italiens qu’il n’avait de penchant naturel d’aller vers les Français. Les Corses sont de culture et de civilisation italiennes et non pas françaises et, aujourd’hui encore, après une longue période de vie française, il suffit de séjourner quelque temps dans la patrie corse pour voir que l’influence profonde qui domine et l’existence et les mœurs est nettement italienne. Le Corse, aime trop son indépendance et sa liberté pour accepter jamais la domination de l’Italie, sa voisine si rapprochée — toute l’histoire corse le démontre amplement — mais il demeure, par la langue, par les habitudes, par le tempérament, le frère ou du moins le parent très proche de l’Italien longtemps combattu… Et lorsque Bonaparte dit à la consulte en l’interrogeant : « Costituzione della Republica… cisalpina ?… italiana ?… » et qu’une clameur lui répondit : « Italiana ! Italiana !… » il dut ressentir quelque fierté à la pensée qu’il restaurait ou ébauchait la restauration de l’unité italienne…

La situation de Joseph à Amiens vis-à-vis de lord Cornwallis devenait difficile. Les Anglais, en effet, trouvaient très étranges les procédés de Bonaparte qui consistaient à profiter des pourparlers pour assurer partout sa situation en dehors des frontières, reculer celles-ci, projeter des expéditions lointaines. Le premier consul retirait en somme de la paix plus d’avantages que de la guerre, et cela sans courir aucun risque, de telle sorte que des Anglais, démêlant ses desseins sur la paix, « les jugeaient, comme on l’a dit si justement, plus redoutables que la guerre même ». La tension fut extrême entre Londres et Paris au début de mars. Des deux côtés, les armements reprirent. Bonaparte, enflant la voix, faisant propager par ses agents et par la presse que toute l’Europe était prête à le soutenir si l’Angleterre rompait les négociations ou l’obligeait à les rompre. En réalité, sa situation était loin d’être brillante, mais il voulait frapper les esprits, il voulait hâter la paix, forcer la main à l’Angleterre et à son gouvernement qui tremblait, s’il n’obtenait pas des améliorations aux conditions primitivement fixées, de tomber sous les coups de l’opposition et du parti de la guerre à outrance. Enfin, le 25 mars, les signatures furent échangées ; le traité d’Amiens, qui se résume de la façon suivante, mettait fin à la seconde coalition :

Il y a la paix entre la République française, le roi d’Espagne[1], la République batave[2], d’une part, et, d’autre part, le roi de Grande-Bretagne et

  1. Représenté par Azara.
  2. Représentée par Schimmelpenninck.