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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/152

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cette garantie de la liberté des citoyens, n’est pas de mise avec les tyrans. La mort de Frotté eut bien les conséquences qu’en espérait le premier consul. Elle marque la fin de la grande chouannerie. Pendant les jours qui suivirent l’exécution, le désarmement se poursuivit d’une façon générale dans tous les départements de l’Ouest, et, au moment de marcher contre l’Autriche, Bonaparte faisait prendre un arrêté des consuls déclarant que : « L’empire de la Constitution cesse d’être suspendu dans les départements des Côtes-du-Nord, Ille-et-Vilaine, Morbihan et Loire-Inférieure et que les mesures extraordinaires déterminées par l’arrêté du 26 nivôse cessent d’être en vigueur[1] ». L’opinion publique ne s’inquiéta pas de savoir dans quelles circonstances Frotté et les autres chefs royalistes avaient disparu : c’étaient avant tout, des alliés de l’Angleterre, des traîtres qui, au nom de leur Dieu et de leur roi, avaient pactisé avec l’étranger, recevant de lui des hommes et de l’argent ; ils avaient fait une guerre de brigands aux troupes républicaines, aussi l’on sut gré au gouvernement d’en avoir débarrassé la France. Cette guerre civile de l’Ouest s’achevait dans la ruine et la désolation de toute une contrée et finissait par l’épuisement même des forces autochtones. Mais cette fin de guerre civile, à qui profite-t-elle ? L’opinion publique ne veut voir que Bonaparte et ne croit qu’en Bonaparte. C’est à lui qu’est due la pacification de l’Ouest. C’est lui qui a ramené à La République les chouans égarés. La popularité du premier consul s’accroissait donc encore, grâce à cette pacification, et la Chouannerie, qui devait aboutir à la restauration du trône des Bourbons, s’achevait donc pour le plus grand bien de celui qui devait les remplacer. Elle contribuait ainsi, il est vrai, au rétablissement d’un trône.


CHAPITRE II
conspirations et opposition

La grande guerre étant finie pour les royalistes, mais leurs désirs de restauration restant les mêmes, et leur volonté de se venger étant accrue, il était inévitable qu’ils ne fissent tout ce qui était en leur pouvoir pour renverser le gouvernement consulaire. Généralement bien doués pour l’intrigue, entraînés aux complots et aux manœuvres sourdes par plusieurs années d’une lutte de traîtrises, ils allaient, à Paris même, tenter de remporter la victoire. Ils voulaient la chute de Bonaparte depuis qu’ils étaient assurés qu’il travaillait pour lui et non pour les Bourbons. Mais d’autres aussi songeaient à faire tomber le parvenu corse. Ceux-là c’étaient les « exagérés » les « exclusifs », les anarchistes, comme disait le premier consul. Nous avens trouvé dans les originaux des bulletins de police conservés aux Archives nationales

  1. Arrêté du 1er floréal an VIII (21 avril 1800).