Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/154

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roi. À Angers, par exemple, on afficha sur les murs, en juillet 1801, un « placard incendiaire » ainsi conçu :

Travail du 14 juillet an IX.

« Compagnons, soldats de toutes armes, sauf les gendarmes qui ne servent que comme bourreaux. Vive la Nation ! Nos maîtres se f… de nous et nous traitent contre toute règle républicaine. Ils ont des tons de supériorité insupportables, plus offensants que ceux des cy-devants. Ne le souffrons pas davantage ; ce que nous avons fait, nous pouvons le défaire et mettre au pas les héritiers des vivants. Chacun doit hériter à son tour et occuper les places. Au 14 juillet, les soldats doivent être officiers, les officiers soldats, les généraux tambours : ils savent faire du bruit par leur ton de nouvelle fabrique. Mes amis, vous êtes des c… si vous ne suivez pas « cet avis[1] ».

Il y a de nombreux témoignages de toute cette agitation, mais le parti républicain s’en tenait aux mots, aux phrases menaçantes. La police relevait les intentions… « Hier, à cinq heures, lit-on dans le recueil publié par M. Aulard[2], dans un cabaret de la rue du Plâtre-Jacques, sept ouvriers et un particulier d’une classe supérieure chantaient la Marseillaise avec le ton d’effervescence qui régnait dans le temps de la Terreur et qui paraît extraordinaire dans ces jours de tranquillité et de satisfaction générales. Ils appuyaient avec affectation sur la finale de chaque couplet : Qu’un sang impur… Ils ne pouvaient avoir que des intentions coupables, car l’entrée d’un étranger dans ce cabaret a suffi pour les faire cesser. »

Bonaparte ne craignait pas sérieusement les menées des royalistes contre sa personne, et il craignait tout au contraire des Jacobins. « Ayant lui-même servi autrefois dans ce parti, il se savait l’objet de cette haine spéciale qui s’attache aux défectionnaires, mais ses souvenirs du temps de la Terreur lui faisaient illusion sur ce que les Jacobins, décimés par tant de proscriptions ou gagnés par les faveurs du pouvoir, étaient alors en état d’oser et d’entreprendre[3]. » Bonaparte a eu peur, véritablement peur des républicains. Le jour où il a acquis la certitude qu’il parviendrait au pouvoir absolu, il a regardé dans la nation pour savoir quelles sortes d’hommes pouvaient l’empêcher d’y parvenir. Des royalistes il croyait n’avoir rien à craindre, et, du reste, il faisait tout pour se les concilier, ainsi que nous le verrons en nous occupant des radiations faites sur les listes d’émigrés. Ces gens avaient l’habitude et le goût du joug, il était donc en droit d’espérer qu’ils se soumettraient. Au contraire, il gardait de la Révolution le souvenir d’indomptables énergies exaspérées contre toute tyrannie et prêtes à tout pour renverser les obstacles dressés sur le chemin de la liberté. C’est parce qu’il avait

  1. Archives nationales, F7 3702.
  2. Paris sous le Consulat, p. 808 (14 novembre 1800).
  3. Fouché, I, 318.