Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/182

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liste émanant des collèges de département[1]. En un mot, le Sénat était définitivement dans la main de Bonaparte, qui le présidait. Cette assemblée recevait de la nouvelle Constitution un grand accroissement dans ses attributions, c’est ainsi qu’elle pouvait désormais régler « tout ce qui n’a pas été prévu par la Constitution et qui est nécessaire à sa marche », c’est-à-dire qu’elle pouvait tout faire en matière constitutionnelle. Le Sénat recevait le droit de dissoudre le Corps législatif et le Tribunat, celui de casser les arrêts des tribunaux. Mais l’article 58 du sénatus-consulte organique portait que le point de départ dans l’action de ce corps si favorisé résidait dans « l’initiative du gouvernement ». La base de la « pyramide » était remaniée, elle aussi. Plus de notabilités : des assemblées de canton (tous les citoyens) présentaient deux candidats aux justices de paix et, dans les villes de 5 000 âmes, deux candidats pris « sur la liste des cent plus imposés du canton » pour chaque siège du conseil municipal ; des collèges d’arrondissement (200 membres au plus, désignés par les assemblées de canton), présentant deux candidats pour chaque place du conseil d’arrondissement et deux pour figurer sur la liste de recrutement du Tribunat ; des collèges de département (300 membres au plus désignés par les assemblées de canton parmi les 600 plus imposés), présentant deux candidats pour chaque place du conseil général et deux pour figurer sur la liste de recrutement du Sénat. Le collège d’arrondissement — auquel le premier consul pouvait adjoindre 10 membres — et le collège de département — auquel le premier consul pouvait adjoindre 20 membres, — désignaient chacun deux candidats au Corps législatif. Ces deux collèges étaient nommés à vie, et des élections ne devaient intervenir pour les compléter que lorsque les deux tiers des sièges seraient libres — ce qui ne se produisit pas durant tout le Consulat et l’Empire !

On a considéré comme des concessions à l’opinion républicaine ces dispositions de l’acte du 4 août 1802 qui remanient les droits électoraux de la nation. Mais la simple lecture de la Constitution nouvelle, ce mélange de régime universel et de régime censitaire qui aboutit toujours et uniquement à des désignations de candidats, ce rouage inutile rendu vivant par la seule intervention du pouvoir exécutif, cette stagnation poussée jusqu’aux extrêmes limites dans l’existence des collèges, tout cela ne montre-t-il pas assez que la nation politique était condamnée à mort. Les contemporains ont-ils vraiment pu s’y tromper ? Il est plus vraisemblable de dire qu’ils ont voulu encore une fois se tromper, et que, de plus en plus, ils n’ont vu que Bonaparte dans la Constitution, Bonaparte négociateur souverain, Bonaparte législateur, souverain, Bonaparte toujours et rien que Bonaparte.

  1. On sait que le Sénat devait compter primitivement 80 membres. Les 14 membres dont il est ici question représentent la différence entre 66 et 80. La cooptation restait la règle après comme avant la nouvelle Constitution, sauf la nomination des 40 nouveaux membres.