Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/187

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jaune, en peu de temps, enleva Leclerc, quinze généraux, les deux tiers de l’armée. Les nègres devinrent alors les plus forts et chassèrent les envahisseurs. C’est alors que Bonaparte renonça à la Louisiane et vendit cette terre aux États-Unis (30 avril 1803).

Pendant que ces événements se déroulaient, le premier consul s’inquiétait à nouveau de l’Orient. Il avait envoyé en mission dans le Levant le colonel Sébastiani, « important, bourdonnant, arrogant, volontiers enflé de sa personne et boursouflé dans ses discours ». Espion de haute envergure — il portait le titre modeste d'agent commercial, — Sébastiani devait parcourir l’Égypte, la Syrie, la Tripolitaine, chercher les amis de la France, étudier la situation militaire des différents pays qu’il visiterait, parler de Bonaparte et l’offrir comme médiateur entre les chefs rivaux.

Le 30 janvier 1803, on put lire au Moniteur tout le rapport du colonel. Il y était dit que les Anglais, contrairement à la paix d’Amiens, n’avait pas évacué Alexandrie, mais que leur armée n’était qu’un « ramassis d’hommes mal armés, sans discipline, usés par les excès de débauches » ; 6000 Français devaient suffire pour les chasser.

L’émotion causée à Londres par la publication de ce document dans le journal officiel de la République fut considérable. C’était bien ce qu’attendait Bonaparte. Le 5 février, il fait écrire à notre ambassadeur Andréossy : « Vous aurez vu, dans le Moniteur, le rapport que le colonel Sébastiani a fait de son voyage dans le Levant, et, très probablement, le ministère anglais n’aura pas manqué de se montrer offensé de l’esprit d’observation qu’a porté cet officier dans l’examen des forces militaires et de relever la phrase où il dit que six mille Français suffiraient pour conquérir l’Égypte. Il vous aura été facile de répondre à ces observations, et vous aurez dû le faire avec beaucoup de vivacité et de force. Un officier français, envoyé pour rétablir les relations commerciales et habituelles de la France avec l’Égypte, a dû être étonné de voir que l’armée anglaise n’eût point encore évacué ce pays. Étranger à la politique, cet officier aura dû considérer comme un commencement d’hostilité une violation manifeste d’un traité de paix solennel, et dès lors son esprit a dû naturellement se livrer à des calculs de guerre et à l’examen des chances qu’elle pourrait présenter, car, en effet, n’est-ce pas provoquer le retour de la guerre, que de garder l’Égypte et Malte au mépris des stipulations du traité d’Amiens ? »

L’Égypte est ici en quelque sorte accessoirement : le ministère Aidington venait d’ordonner l’évacuation d’Alexandrie, mais ce qui persiste toujours dans toutes les discussions, c’est Malte. Bonaparte prenait des territoires, il regardait vers Saint-Domingue, il « travaillait » l’Égypte, il envoyait Decaen avec une armée et une escadre aux Indes, pour chercher à soulever les souverains hostiles à l’Angleterre, et toujours il revenait à Malte, exigeait son évacuation, parlait des traités violés et menaçait. Le gouvernement anglais,