Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/217

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digieuse régner dans tous les ports du Pas-de-Calais. Partout on construisait des bateaux pour transporter des troupes, à Boulogne, à Sangatte, à Ambleteuse, à Étaples. Les barques de pêche, les barques de pilotes sont aménagées, transformées, des chantiers innombrables apparaissent, tandis que des quais sont créés, des chenaux creusés. Pendant ce temps, les troupes s’entraînaient dans les camps sous le commandement de Davout, de Soult, de Ney, de Lannes, de Murat. Pour faire passer en Grande-Bretagne toute cette armée, c’était très bien de disposer de 2 500 bateaux, mais encore fallait-il qu’ils fussent protégés par une escadre, et que les Anglais fussent mis hors d’état d’empêcher le débarquement. C’est pourquoi Napoléon avait établi un plan gigantesque : Villeneuve, qui avait succédé à Latouche-Tréville, mort à Toulon après avoir dirigé l’organisation des flottilles du Pas-de-Calais, devait déjouer la surveillance de Nelson qui croisait dans la Méditerranée, aller prendre, à Cadix, la flotte espagnole de l’amiral Gravina, flotte que Junot avait obtenue de la cour de Madrid en promettant l’aide de la France pour la conquête du Portugal, et cingler vers les Antilles. Nelson devait être persuadé que Villeneuve voulait débarquer des troupes en Égypte et, par conséquent, il s’immobiliserait dans la Méditerranée. Pendant ce temps, aux Antilles, la flotte de Toulon et la flotte de Cadix devaient se réunir à l’escadre de l’amiral Missiessy et à celle de Gantheaume et tous ensemble devaient revenir en toute hâte dans la Manche. Le nombre des navires de guerre français serait tel, que le passage des troupes en Angleterre serait assuré. « Le but principal de toute l’opération, écrivait Napoléon, est de nous procurer la supériorité pendant quelques jours devant Boulogne. Maîtres du détroit pendant quatre jours, 150 000 hommes, embarqués sur 2 000 bâtiments, achèveraient entièrement l’expédition. » Il est permis de se demander ce qu’auraient fait 150 000 hommes en Angleterre. Il est plus que probable qu’il n’en serait pas sorti un seul vivant. Du reste, la complication même du plan maritime le condamnait plus encore que l’impéritie des amiraux sur qui Napoléon fit toujours retomber la responsabilité des désastres. Villeneuve s’échappa de Toulon, rallia, comme il était convenu, l’escadre espagnole, mais ne trouva ni Missiessy, ni Gautheaume aux Antilles. Le premier en était déjà reparti. Le second restait bloqué à Brest par l’amiral Cornwallis. Villeneuve revint donc vers le Ferrol où une flotte de renfort l’attendait ; mais Nelson, qui avait navigué en vain dans la Méditerranée à la recherche des Français, était remonté vers Cadix et avait eu le temps d’avertir l’amirauté anglaise du danger d’une concentration française. L’amiral Calder attaqua Villeneuve en vue du cap Finisterre, avant qu’il ait pu rallier la flotte du Ferrol, et, si la victoire ne fut nettement marquée ni d’une part, ni de l’autre, l’escadre française reçut de telles avaries que la confiance de l’amiral Villeneuve dans la solidité de sa flotte disparut à peu près entièrement. Aussi, le 17 août 1805, lorsqu’il voulut quitter le Ferrol