Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/222

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Ulm. Mark se trouve cerné avant même de connaître la situation des forces françaises. C’est en vain qu’il veut s’ouvrir un passage : il est battu à Wertingen (8 octobre), à Memmingen, à Elchingen. Toujours rejeté dans Ulm, il voyait se resserrer autour de lui un cercle qu’il ne pouvait songer à rompre. Il ne pouvait non plus attendre aucun secours : son lieutenant Jellachich était acculé par Augereau dans le Vorarlberg ; l’archiduc Ferdinand, battu par Murat à Neresheim, s’était réfugié en Bohême, les Russes étaient encore à Linz. Dans ces conditions, Mack se rendit le 20 octobre 1805 avec ses 33 000 hommes, 60 canons et 60 drapeaux. Le même jour qui vit ce succès extraordinaire vit l’anéantissement de la puissance maritime française. Villeneuve, qui s’était réfugié à Cadix ainsi que nous l’avons dit plus haut, était rendu par Napoléon responsable de l’échec de la grande combinaison qui aurait permis en cas de réussite le passage du Pas-de-Calais.

L’amiral, affolé par tant de reproches et sans confiance aucune dans une flotte fatiguée et mal armée, se décida à quitter Cadix et à affronter l’ennemi. Il conduisait au feu des marins sans expérience, qu’on avait brutalement ramassés dans toute la France et qu’on avait mis de force sur des vaisseaux, « des matelots paysans qui ne savaient point manœuvrer, point tirer, et que, selon l’ancienne méthode, on faisait viser au mât, au lieu de tirer en plein bois, dans la coque des vaisseaux, comme faisaient les Anglais[1] ». Villeneuve avait prévenu le ministre de la Marine, Decrès, de son infériorité, mais sans succès. À la hauteur du cap Trafalgar, l’escadre franco-espagnole, forte de trente-trois navires, heurta l’escadre anglaise qui n’en comptait que vingt-sept, mais que commandait Nelson. Après un combat acharné, les Anglais demeurèrent victorieux, et treize vaisseaux alliés seulement rentrèrent à Cadix. Nelson était mort. Villeneuve était prisonnier[2]. Désormais l’Angleterre n’avait plus rien à craindre sur mer ; elle pouvait agir en toute liberté.

Cependant Napoléon ne perdait pas une journée : il craignait à la fois, s’il tardait, et que les Russes pussent entrer victorieusement en ligne, et que les Prussiens prissent position contre lui. C’est donc en toute hâte qu’il porte l’armée sur Vienne, par la rive droite du Danube, commettant, au reste l’incompréhensible imprudence de laisser sur la rive gauche le corps de Mortier, qui ne pouvait en aucune façon communiquer avec le gros de l’armée, car le Danube est large et rapide, et, dans tout son cours supérieur, impraticable. Cette faute faillit avoir de graves conséquences, car les Russes de Koutouzof, repoussés par la Grande-Armée le long de la rive droite, franchirent le Danube à Krems et se portèrent alors contre Mortier, qui se battit vigoureusement entre Stein et Diernstein, mais qui, cerné, allait succomber,

  1. Michelet, Histoire du XIXe siècle, III, 171.
  2. Villeneuve remis en liberté fut traduit par Napoléon devant un conseil de guerre. Il se coupa la gorge dans sa prison.