Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/270

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après-demain pour connaître vos intentions. Si j’insiste sur le parti que je vois qu’on peut prendre dans l’affaire délicate des subsistances, c’est surtout parce que je regarde tout ce qui y a rapport comme des devoirs attachés à ma place, et que je désire pouvoir écarter de votre carrière glorieuse tout ce qui pourrait affecter péniblement votre cœur. Salut et respect. Signé :
CHAPTAL. »

À cette lettre est annexé un projet qui en reproduit les idées principales, c’est-à-dire la nécessité de compléter par des blés du gouvernement l’approvisionnement de Paris, faire arriver des blés sur les marchés de l’Eure, de la Seine-Inférieure et de la Somme, mais laisser en tous cas le commerce établir lui-même les cours, car autrement, les négociants, ne pouvant plus faire concurrence à l’État, se retireront du marché, et le gouvernement sera entraîné à fournir « à une consommation dont on ne peut pas calculer l’étendue », et la famine ne tardera pas à apparaître. Et Chaptal termine en exposant le système suivant : « Pour concilier cette liberté des prix avec les considérations majeures qui peuvent porter le gouvernement à maintenir le pain à 18 sous pour Paris, le gouvernement pourrait autoriser les comités de bienfaisance à délivrer des bons aux familles indigentes, à la faveur desquels le pain leur serait délivré à 18 sols les 4 livres, à raison d’une livre et demie par tête de famille. Le gouvernement tiendrait compte aux boulangers, sur la remise de ces bons, de la différence des prix… »

Cette leçon d’économie politique donnée à Bonaparte par Chaptal mérite d’être signalée. Le premier consul faisait de la politique de surenchère comme nous en voyons encore faire aujourd’hui par des gens qui, pour tenter de ramener vers eux la faveur du peuple qui les abandonne, entassent propositions sur propositions, sachant bien qu’elles ne peuvent aboutir sans un long et sérieux travail préparatoire qui doit tendre, non pas à introduire dans un organisme qui fonctionne une modification qui l’arrêtera tout d’un coup, mais bien à réformer par la base et selon des données rationnelles, le mécanisme social que des maîtres intéressés ont dès longtemps faussé. Et ce n’est certes pas les hommes dont nous parlons qui sont capables de ce travail préparatoire ! Il est évident qu’en l’espèce Bonaparte, pour satisfaire au désir de la population, allait promptement l’acculer à la famine et cela parce qu’il ne voulait pas voir les raisons profondes du manque de grain.

Nous terminerons cette étude des subsistances, étude capitale au point de vue économique, politique et social, par la publication de deux derniers documents, l’un pour montrer dans quelles conditions le gouvernement achetait les blés et les envoyait sur les marchés, l’autre pour indiquer les mesures générales prises pour assurer la répartition des grains sur le territoire.

La première pièce est de prairial an X et c’est encore un rapport de Chaptal[1]. Le ministre écrit : «…Les achats de blé effectués jusqu’à ce jour

  1. Archives Nationales. AFiv 1058, pièce 4. Bureau des Subsistances.