Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/304

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du crédit. Autour de l’empereur, on s’était montré hostile à l’institution de ces prêts, car il semblait précisément qu’ils fissent trop voir les conséquences ruineuses de la guerre. C’est à ce sujet que Napoléon écrit a Cambacérès, le 5 avril 1807[1] : « J’ai pris, il y a quinze jours, un décret pour prêter aux fabricants sur nantissement[2]. Toutes ces prétendues délicatesses que l’on met en avant sont des bêtises et des sophismes. À quel cri d’alarme cela donnerait-il lieu qu’un fabricant dise : « Je suis riche, j’ai pour un million de marchandises ; je ne puis les vendre, et je n’ai pas un sou. Le gouvernement me prête 100 000 écus ; je lui donne pour sûreté 100 000 écus de marchandises. Au lieu d’être un objet de discrédit, cela est au contraire, un moyen de crédit. » Le premier prêt fut consenti à Dufougerais « propriétaire de la manufacture de cristaux de Sa Majesté l’Impératrice ». C’est de la manufacture du Mont-Cenis qu’il s’agit. Nous voyons sur l’état[3] de proposition que Dufougerais fabriquait ordinairement pour 450 000 ou 500 000 francs par an, dont 160 000 francs d’exportations. Il avait, en 1807, pour 350 000 francs de marchandises invendues à Paris ; il en avait pour 150 000 francs au Creusot et il employait 300 ouvriers au lieu de 400. Parmi les industriels à qui des prêts furent encore consentis, nous voyons[4] Perrier, constructeur de machines à Chaillot qui, au lieu de 250 ou 300 ouvriers, en occupe 52 ; Dilh, propriétaire d’une manufacture de porcelaine à Paris, qui a 40 ouvriers ; au lieu de 200 ou 250. Girard, fabricant de lampes à Paris, qui garde 30 ouvriers ; Thomire, fabricant de meubles et de bronzes à Paris, qui, de 800 ouvriers, est tombé à 211.

La Banque de France, créée au lendemain du coup d’État de brumaire par des banquiers de Paris, avait pour but primitif d’aider au développement du commerce et de l’industrie. Le capital de la Banque, tel qu’il fut fixé le 24 pluviôse an VIII (13 février 1800), était de 30 millions et divisé en actions de 1 000 francs. Bonaparte, voyant grandir le crédit de la Banque, résolut de rendre plus étroits les rapports qui l’unissaient au Trésor, et c’est ainsi que, le 24 germinal an XI, puis le 22 avril 1806, il fit porter le capital à 45 puis à 90 millions, donna à la Banque le privilège des billets payables au porteur et à vue, et l’incorpora pour ainsi dire à l’État, se réservant la nomination d’un gouverneur et de deux sous-gouverneurs[5]. Bien entendu, de cette façon, la Banque de France ne restait pas seulement un instrument pour favoriser

  1. Correspondance de Napoléon t. XV, p. 34.
  2. La Caisse d’amortissement dut consacrer 6 millions à ces prêts consentis à 2 % d’intérêt.
  3. Archives nationales AFiv 1060, 22 avril 1807.
  4. Archives nationales AFiv 1060, 10 juin 1807.
  5. Voir Stourm, Les Finances du Consulat. La loi du 28 ventôse an IX rétablit les agents de change et leur donne le monopole de leurs fonctions, qui consistaient alors très essentiellement à servir d’intermédiaires dans les opérations sur capitaux. Nommés par le chef de l’État, ils devaient prêter serment, déposer un cautionnement et constituer un syndicat.