Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/326

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taine, lorsqu’au commencement de février, nous fûmes appelés un matin dans le cabinet de l’empereur. »

« M. Oberkamp, M. Féret, son gendre, et M. Collin de Sussy, ancien administrateur des douanes, nous avaient précédés, et déjà la discussion était fort animée, lorsque nous arrivâmes.

« — Ah ! ça, messieurs, nous dit l’empereur dès qu’il nous aperçut, vous me demandez définitivement la prohibition des toiles à impression et des mousselines.

« — Nous rappelons à Votre Majesté ce qu’elle a bien voulu nous promettre il y a trois ans.

« — Mais c’est un monopole que vous voulez établir.

« — Nous voulons, au contraire, appeler tout le commerce à participer aux bienfaits de la mesure sollicitée par nous.

« — Vos établissements sont assez considérables sans doute pour que vous soyez plus intéressé que tout autre à tuer les fabrications anglaises.

« — Oui, Sire ; mais nous avons déjà gagné une assez belle fortune pour que l’on puisse voir autre chose maintenant dans nos travaux que l’amour du gain.

Et Richard s’efforce de démontrer à l’empereur la pureté et le désintéressement de ses intentions.

J’imagine que Napoléon dut mettre quelque sarcasme dans la réponse qu’il fit au plaidoyer du filateur.

« — Allons messieurs, dit-il, je vois avec plaisir que je me trompais sur vos intentions : vous ne voulez pas accaparer une branche d’industrie.

« — Au contraire, nous voulons appeler tous nos confrères à partager les avantages qu’elle présente. Cela est si vrai, Sire, que nous espérons que M. Oberkamp lui-même se fera filateur et fabricant.

« — Réellement, Monsieur Oberkamp, reprit l’empereur en se tournant vers lui, peut-on imprimer sur des toiles de fabrique française ?

« — Oui, Sire.

« — Monsieur Richard, pourquoi tenir à la prohibition ? Ne vient-on pas d’établir un droit de 50 % ? me dit encore Sa Majesté ; cela équivaudrait à la prohibition ; n’est-il pas vrai, M. de Sussy ?

« — Nul doute, Sire, qu’un tel droit ne soit aussi protecteur que la prohibition, répondit M. Collin.

« Ce droit fera la fortune de la douane et des contrebandiers, sans servir les intérêts de la France, repris-je alors. »

Suit alors une étrange explication qui témoigne comment Richard était expérimenté dans la pratique de la contrebande. L’estimable Industriel n’ignore rien de la façon d’acheter les commis de douane et de frauder l’État ; il établit même une sorte de statistique de la moralité administrative et