Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/356

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miration pour les livres du professeur de Stanz et d’Yverdon, admiration qu’il avait fait partager à son souverain, il avait rêvé la transformation complète de l’enseignement en Espagne.

« Ce n’était certes pas dans la péninsule qu’il fallait prêcher le soin du corps quand il a toujours obtenu une attention prépondérante sur celui de l’esprit. Néanmoins, en invoquant le fameux précepte de mens sana in corpore sano, de nombreux gymnases avaient été institués, une école centrale et normale dite : Institut royal pestalozzien, avait été ouverte à Madrid, des disciples observateurs avaient été formés dans la capitale avec la mission de répandre le nouveau système d’enseignement dans toute la péninsule, et toutes les forces de l’État mises en mouvement dans ce but avaient déjà produit, dès 1808 des résultats d’une certaine importance.

« Peut-on oublier encore que de son époque date la création du corps des ingénieurs des chemins et canaux du royaume, celle de l’école spéciale destinée à les former, qui fut placée sous la direction de don Augustin de Bétancourt, et la première impulsion vraiment sérieuse donnée aux travaux publics en Espagne par ce célèbre ingénieur ?

« C’est encore lui qui fut le promoteur de l’école des sourds-muets, du corps des ingénieurs cosmographes pour l’étude de l’astronomie théorique et pratique, institutions qui sous des noms différents, fonctionnent aujourd’hui régulièrement en Espagne. Et, sans enlever à don Melchior de Fovellanos la gloire qui lui revient pour la création de l’Institut royal asturien, établi à Gijon pour l’enseignement des hautes mathématiques, de la minéralogie et de la navigation, il faut bien reconnaître que, sans les subsides de l’État, cette création eût été impossible et que le « prince de la Paix » dut intervenir plus d’une fois pour ménager en faveur de Fovellanos l’esprit de Charles IV, trop prévenu contre lui.

« Par malheur, le même ministre ne sut pas exécuter une grande mesure, dont il avait cependant compris l’absolue nécessité, s’il faut ajouter foi aux relations de ses mémoires : il ne sut pas arrêter le développement prodigieux du clergé régulier et particulièrement des ordres mendiants. Vers la fin du xviiie siècle, on comptait en Espagne plus de 50 000 hommes exploitant dans des maisons religieuses la piété des fidèles, vivant d’aumônes, corrompant les familles par leurs habitudes d’hypocrisie, de débauche et de paresse, et les maux provenant du terrible développement de cette gangrène sociale étaient arrivés à un tel état d’intensité, que tout progrès matériel était devenu impossible tant que ce fléau n’aurait point disparu. Le « prince de la Paix » raconte qu’il lui était venu à la pensée de disperser cette armée de moines mendiants dans les colonies pour en faire des propagandistes de la foi catholique et d’ériger les maisons religieuses, propriétaires de grands biens, en asiles spéciaux pour les lettres et les arts, spécialement pour l’industrie agricole, sous la protection directe du gouvernement. »