Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/368

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de notre pays qui s’était livré avec tant d’aveuglement et de coupable abandon à toutes les criminelles fantaisies d’un César.

Et maintenant que nous avons fini la nomenclature des principaux événements militaires, nous voudrions retracer à grands traits la vie intérieure de la nation espagnole si éprouvée et meurtrie par l’invasion étrangère.

M. Hubbard, dans l’ouvrage si érudit et si vibrant que nous avons déjà cité, a résumé sous une formule saisissante les conséquences des tragiques perturbations qui secouèrent la péninsule de 1807 à 1814. « Napoléon, dit-il, avait été vaincu, mais l’esprit de révolution avait triomphé. »

Pas définitivement hélas ! puisque nous constatons plus loin le retour triomphant de Ferdinand qui personnifie si déplorablement la réaction cléricale la plus odieuse.

Mais quand même il est intéressant de constater toujours avec M. Hubbard que :

« Après tant de siècles d’une foi aveugle et réfléchie, la parole allait être donnée à la raison, à la philosophie ; les esprits n’allaient plus se refuser systématiquement à l’étude des graves questions qui avaient agité l’opinion en France au xviiie siècle. »

« L’adoration de la royauté, le prestige du trône, la ferveur catholique, la soumission à l’autorité, la crainte de l’inquisition, l’exacte pratique des cérémonies du culte, le goût de l’intrigue, la haine du travail, la passion du jeu et de la loterie, tous les traits saillants de l’ancien caractère espagnol dominaient bien encore dans la majorité de la population : mais d’autres types s’étaient fait jour, d’autres mœurs s’étaient révélées. Un noyau de patriotes avait commencé à se former dans toutes les villes et dès lors on pouvait pressentir que les décrets de la royauté allaient désormais être examinés et analysés avec un soin minutieux.

« Au milieu de l’ébranlement causé par l’invasion étrangère, en l’absence de toute action des représentants du principe monarchique, l’élément démocratique avait saisi le pouvoir dans toutes les capitales de province et s’était partout présenté comme le véritable boulevard de l’indépendance nationale. »

Quelques rapides constatations des faits ne tarderont pas à justifier ces lumineuses appréciations.

Le 25 septembre 1808 une junte suprême composée de députés de toutes les juntes ou assemblées locales, s’assembla à Aranjuez sous la présidence de Florida Blanco. Parmi ses membres on remarquait la présence de Jocellanos, de Palafox et de Rozas : quelques mois plus tard, à l’arrivée de Joseph à Madrid, elle se transporta à Séville où son autorité fut reconnue par la presque unanimité de la nation. Même le Conseil de Castille composé de vingt-cinq hauts magistrats dut à la fin se soumettre à son ascendant. Mais cette junte perdit son temps à de vaines questions d’étiquette, prenant pour