Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/374

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Et c’est ce régime d’infamies et de massacres, de terreur, de tortures, de tueries et de pillages que les césariens, moins de cent ans après, veulent imposer encore à notre civilisation !

Pour égaler la férocité tyrannique du maître, il n’y avait que la lâcheté révoltante des valets.

Et, parmi ces valets, ceux dont l’échine était la plus souple, dont l’aplatissement paraissait le plus abject furent les membres du Sénat impérial. Nulle assemblée ne mérita, dans l’histoire de notre pays, plus de mépris et plus de malédictions.

C’est à lui, c’est à sa complaisance que Napoléon venait demander, pour la forme, les levées d’hommes, les appels de conscrits. C’est à lui que, sur un ton comminatoire, l’empereur dictait ses ordres et quand, le 15 août 1809, le ministre Champagny vint lire un rapport insolent, où la guerre contre l’Autriche était déclarée, il ne se trouva pas un membre pour faire entendre un murmure de protestation contre une campagne où tant de sang français allait encore se répandre. Au contraire, une adresse fut rédigée par les vils flatteurs, pour remercier Napoléon de sa communication, et lui offrir en holocauste les 30 000 hommes de la conscription de 1810.

« On se demande, s’écrie un pamphlétaire anonyme, dans une brochure du temps, intitulée : Les Quatre Philippiques[1], on se demande si ce n’est pas le Sénat préposé à la conservation de nos institutions qui a creusé l’abîme où nous nous trouvons en inventant et fondant successivement le tyran et la tyrannie, en donnant l’apparence de formes légales à toutes les mesures atroces proposées par le tyran, en envoyant annuellement deux ou trois cent mille hommes à la boucherie ! »

Et plus loin :

« Vous, sénateurs de Bonaparte, vous, ses compagnons de la journée de Saint-Cloud, ses adeptes sous le Consulat, ses muets lors de l’assassinat du duc d’Enghien, ses témoins ou ses juges dans le procès de Moreau, vous recevez chaque mois le prix de la terreur impériale que vous répandez dans toutes les familles ! »

« Ce corps, écrit Grégoire dans ses Mémoires, qui devait être si auguste, n’a guère été que le bureau d’enregistrement des volontés d’un tripot qu’on appelait la réunion. On n’arrive aux séances du Sénat que pour faire ce qui est fait. À l’idée de Sénat conservateur devaient s’associer des idées imposantes, et sur elles devaient reposer les espérances nationales. Qu’a-t-il conservé ? Rien que le traitement de ses membres ! »

Une caricature intitulée : Manière de voir sous l’Empire, et conservée aux estampes de la Bibliothèque nationale, représente un sénateur ayant la bouche, les yeux et les oreilles bouchées avec des pièces d’or !

  1. Voir la Représentation des aristocraties dans les Chambres hautes, par Jules Rais. Paris, 1900.