Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/395

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laissaient pas d’aggraver, plus irrémédiablement encore, une situation qu’on s’accordait à tenir pour intolérable. À quelques mois d’intervalle, Napoléon venait, en effet, de prononcer la réunion à la France de la Hollande ; en juillet 1810, du Valais ; en décembre, du duché d’Oldenbourg, des principautés de Sam et Arenberg, des trois villes hanséatiques, Brême, Hambourg et Lubeck, de décembre 1810 à février 1811. La violence de ces main-mises avait provoqué l’indignation générale, et le despotisme impérial semblait n’avoir d’égal que l’orgueil insatiable et effréné du souverain. À son frère Louis, qui s’était fait en Hollande le défenseur courageux et patient des droits nationaux, Napoléon n’épargnait ni les invectives ni les menaces ; il ne pouvait tolérer chez son frère ces désirs de justice qu’il affectait de tenir pour une sorte de trahison envers la France. Aussi bien ne tardait-il jamais à en venir aux mesures brutales, aux coups de force sur lesquels il avait toujours compté pour briser radicalement toutes les résistances. L’annexion de la Hollande fut donc décrétée en vertu d’un sénatus-consulte de juillet 1810. Quelques mois après, une décision nouvelle bouleversait l’ancienne organisation des provinces hollandaises par l’imposition d’un système administratif français, destiné à resserrer plus étroitement, sous le joug de l’Empire, les territoires annexés.

Ces événements n’avaient pas peu contribué à surexciter les esprits en Europe. De telles spoliations provoquaient partout des haines, qui devaient être bientôt douloureusement fécondes en conflits. La réunion du duché d’Oldenbourg, en 1811, et des trois villes hanséatiques parut aux princes de l’Allemagne le comble de l’arbitraire ; tous comprirent l’étendue du péril qui menaçait leurs États, dont l’autonomie, jusque-là, n’avait point été menacée. Rien, pas même les conséquences, faciles à pressentir, d’une mesure impolitique, n’arrêtait l’empereur ; il n’hésita donc pas à s’aliéner, plus définitivement encore, le concours, fort peu empressé d’ailleurs, du czar, en spoliant sans raison, de ses terres et de ses apanage princiers, le duc d’Oldenbourg, oncle d’Alexandre. Le czar, outré d’un procédé qui l’atteignait personnellement, en même temps qu’il constituait aux yeux de l’Europe un attentat inconcevable au droit des gens, réclama pour son parent une indemnité proportionnelle à l’offense. Napoléon n’offrit que des compensations dérisoires et, pour faire diversion, reprocha formellement à Alexandre de favoriser les fraudes par son zèle médiocre dans l’exécution des stipulations du blocus continental.

D’autre part, la Pologne, qui devait à Napoléon l’autonomie nouvelle dont elle s’enorgueillissait, semblait un perpétuel danger pour Alexandre. Un fougueux réveil du sentiment national, et l’enthousiasme persistant à l’égard des Français libérateurs, ne semblaient guère être faits pour calmer les appréhensions du czar qui se sentait impuissant à conjurer le péril. La restauration de la Pologne, à cette époque, sous une influence étrangère,