Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/40

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sections — et en majeure partie inspiré des idées de Sieyès - après l’échec des deux projets offerts par ce dernier.

Entre les versions différentes devons-nous choisir ? Nous ne le pensons pas. Ce qui nous importe, ce n’est pas l’histoire des hésitations et des tâtonnements de Sieyès, mais bien le résultat de sa pensée dans la mesure où cette pensée a pu exercer une influence sur le mouvement politique de son temps, ou encore dans la mesure où elle reflète les pensées d’une partie du pays. Pour atteindre ce but, il nous suffit de dégager l’essentiel des théories de Sieyès, de rendre clair ce qu’il exposait avec confusion — et ceci sans rien dire qui ne soit reconnu comme étant de lui par les historiens qui débattent sur l’histoire et le détail de sa pensée. L’idée directrice de Sieyès dans l’édification de son système est contenue dans la formule souvent citée : « La confiance doit venir d’en bas, le pouvoir doit venir d’en haut. » C’est en partant de là qu’il a imaginé la fameuse pyramide, cadre mathématique où il renferme la nation, depuis le peuple qui forme la base jusqu’au chef qui figure seul au sommet. Prenons donc chaque degré de cette pyramide. Les citoyens actifs — citoyens français payant une contribution égale à trois journées de travail — répartis par arrondissement communal, nouvelle circonscription, dresseraient une liste de cent noms formant les notables communaux. Ceux-ci éliraient un dixième d’entre eux qui seraient les notables départementaux.

Les notables départementaux élisaient enfin par le même procédé cinq mille notables représentant la liste nationale destinée à fournir les autorités législatives et exécutives. Le choix devait en être fait par un jury constitutionnaire de quatre-vingts membres, où prendraient place des hommes éminents du parti de brumaire. Ce corps souverain — que nous retrouverons plus tard sous le nom de Sénat conservateur — devait ensuite se recruter lui-même. Son rôle était, d’une part, de veiller à ce que la Constitution ne fût pas violée par des lois ou des arrêtés, et d’autre part, de choisir sur la liste nationale les membres du Tribunat — qui prépare et discute la loi — et les membres du Corps législatif, qui la vote sans discussion. Le même Sénat choisissait dans son sein le Grand Électeur, chargé de désigner deux Consuls, l’un pour l’intérieur, l’autre pour l’extérieur. Ce sont les Consuls qui devaient véritablement gouverner, au moyen de leurs ministres et de leurs conseillers d’État. Le Grand Électeur, à qui Sieyès laissait un pouvoir de « surveillance générale » et le droit de révoquer les Consuls, n’avait en réalité qu’un rôle de parade ; dans son château de Versailles, au milieu de sa garde, il aurait vu se dérouler la vie politique sans y prendre part. Du reste, s’il avait voulu sortir de ses fonctions, s’il avait recherché la popularité et qu’on pût craindre de sa part trop d’ambition, un mécanisme ingénieux permettait de le faire disparaître : le Sénat l’absorbait, c’est-à-dire le rappelait, le révoquait.

Telle était, dans ses grandes lignes, le plan de Sieyès et quelques mots