Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/446

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Comprenant qu’il ne fallait plus songer à retarder la lutte, l’empereur modifia fort habilement, dans la nuit du 17 au 18, les positions de ses troupes. Le 18 au matin, les troupes des alliés qui nous entouraient se ruèrent simultanément sur la plupart des points. Quelque écrasante que fût la supériorité numérique de l’ennemi, la résistance de nos armées fut héroïque ; un instant, elle laissa supposer que la journée ne se terminerait point à l’avantage de l’une ou de l’autre des parties ; mais, au cours de l’après-midi, tandis que la lutte avait pris un caractère furieux et acharné, tout le corps saxon, composé d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, quitta brusquement nos rangs et, prenant une vigoureuse offensive, épuisa soudain contre nos troupes ses munitions. Cette défection imprévue décida de l’issue du combat. Surpris par ce mouvement inopiné, les Français se replièrent en désordre sous Leipzig, et la réalité de la défaite devint manifeste. Une grave nouvelle parvint dans cet instant jusqu’à Napoléon : les munitions de l’artillerie étaient à peu près épuisées et ne permettaient pas de résister plus longtemps aux attaques de l’ennemi ; il fallait donc à tout prix opérer soudain la retraite et se soustraire aux nouvelles offensives de l’ennemi. Soixante mille hommes morts ou mis hors de combat, tel était l’affreux bilan de la journée, ce n’était là cependant que le tragique prélude de désastres qui allaient excéder en horreur tout ce qu’on avait déjà souffert.

Napoléon, craignant déjà la catastrophe qu’il n’évita point, pressa, dès la fin de la seconde journée de Leipsig (le 18 octobre 1813), la marche rétrograde de ses troupes, et leur donna l’ordre de se diriger sur Erfurt. Pour permettre à l’armée d’effectuer sans accident son passage sur les rivières et les fleuves qui serpentent en arrière de Leipsig, il eût été nécessaire d’établir un certain nombre de ponts. L’empereur n’ordonna rien dans ce sens ; il prescrivit seulement de faire sauter le pont qui reliait Lindenau à Leipsig aussitôt le passage de nos troupes achevé. L’exécution de cette consigne fut déplorable ; elle avait été confiée à un colonel du génie nommé Montfort, qui, au dernier moment, en chargea un caporal. Celui-ci, après avoir vu passer notre artillerie et les corps qui la précédaient, pensa qu’il n’y avait pas lieu de surseoir plus longtemps à l’exécution des ordres donnés. Ignorant de ce qui se passait dans Leipsig et des efforts héroïques qu’y faisaient Macdonald et Poniatowski pour contenir les alliés, qui tentaient de toutes parts, avec une belliqueuse frénésie, l’envahissement de la ville, le caporal fit mettre le feu aux poudres ; quelques instants après, le pont sautait, la suprême chance qui restait aux malheureuses troupes abandonnées dans Leipsig disparaissait avec ses épaves Ce fut une catastrophe toute pareille à celle qui avait ensanglanté les bords de la Bérézina. Pressés de toutes parts et incapables de résister plus longtemps, Macdonald, Régnier, Poniatowski, Lauriston se dirigent en hâte vers l’Elster, qu’ils croient pouvoir traverser sur le pont qu’utilisèrent Ney, Marmont, Napoléon et d’autres avec eux ; mais ils sont arrivés