Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/456

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Les membres de la Légion d’honneur eurent droit au titre de chevalier, avec faculté de le transmettre en justifiant d’un revenu de trois mille francs. L’empereur se réserva en outre le droit d’accorder aux généraux, préfets, officiers civils et militaires et, en général, à tous les citoyens, tous les titres qu’il jugerait convenable.

Quant aux anciens nobles, ils ne devaient porter leurs titres qu’avec l’autorisation impériale.

Toute cette organisation de la noblesse impériale est, comme on le voit, basée non seulement sur le rétablissement des titres, mais plus encore sur la reconstitution des grandes fortunes. Cambacérès parlait tout à l’heure de services rendus ; mais cela ne suffit pas : il faut avoir des revenus, et l’hérédité des titres n’est accordée qu’à la condition de justifier de quelques milliers de livres. Là se manifeste clairement la pensée de Napoléon, qui voulait se constituer comme soutien de toutes les classes possédantes, et dresser entre lui et le peuple toute une hiérarchie de parvenus dont le rang était mesuré par le chiffre des rentes.

À la vérité, ces rentes étaient souvent constituées par le souverain lui-même qui manifesta fréquemment sa faveur par de fastueuses dotations.

Jusqu’en 1810, il y eut 5 716 dotations, représentant une somme totale de 32 463 817 francs !

21 maréchaux reçurent ensemble 6 176 000 francs. 217 généraux se partagèrent environ 7 autres millions.

Veut-on quelques chiffres ?

Lannes reçut 328 000 francs de revenu et un million d’argent. Davoust, 410 000 francs de revenu et 300 000 francs d’argent. Berthier, 405 000 francs de revenu et 500 000 francs comptant. Ney, 227 000 francs de revenu et 300 000 francs.

4 936 donataires, sous-officiers, soldats se partagèrent 8 416 000 francs.

C’était, on le voit, une véritable curée, une dilapidation effrénée à laquelle n’eussent point résisté les deniers publics, si Napoléon n’avait mis à contribution les pays conquis, volant sans vergogne l’or et les terres des vaincus. Pour ne citer que quelques exemples, l’empereur s’était réservé en Pologne vingt millions de domaines ; en Hanovre, trente millions ; six millions en Westphalie ; trente millions en Italie.

Et tout cela servait à contenter l’appétit insatiable de ses créatures qui allaient former dans notre pays une nouvelle caste aussi dominatrice et aussi insolente que les anciennes, abolies par la Révolution.

À cette préoccupation de Napoléon de créer une aristocratie d’argent, il faut rattacher encore la création des sénatoreries qui, dès le Consulat, devenaient le germe d’une aristocratie territoriale. Ces sénatoreries, constituées par le sénatus-consulte du 11 nivôse an XI, étaient des propriétés composées d’une maison et de domaines nationaux, d’un revenu annuel de 20 à 25 000