Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/464

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et des bourgs. Ils font labourer leurs champs par des étrangers, avec des chevaux de louage ; aussi les façons sont-elles négligées ; le défaut d’engrais s’aperçoit à la médiocrité des récoltes. La totalité des grains est consommée dans les familles. Le manque presque absolu de ressources se fait apercevoir à l’extérieur et au dedans des petites propriétés. Les maisons paraissent toujours en ruines ; si l’on y multiplie des animaux, ce ne sont que des poules, ou tout au plus de chétifs dindons. Les vaches, réduites à l’herbe des grandes routes, y sont d’une maigreur extrême. Les plantations y sont presque nulles, les chemins vicinaux impraticables ; les fossés versent leurs eaux de toutes parts ; et si l’on traverse, un vendredi, les communes où les petites propriétés sont les plus multipliées, on n’y rencontre que des mendiants.

« C’est à tort qu’un pense que la culture doit être plus soignée, et par conséquent plus productive dans un terrain plus circonscrit. Cela peut être vrai chez quelques hommes industrieux et actifs ; mais comme ils ne forment point le plus grand nombre, l’on peut assurer, par expérience, qu’en général la misère, l’ignorance et l’indolence habitent les petites propriétés.

« Visitez une grande ferme : son aspect annonce l’aisance et l’industrie ; les terres sont tenues avec soin ; les labours exécutés par des valets et des chevaux qui appartiennent au fermier, ne laissent rien à désirer ; les engrais abondent de toutes parts ; de vastes bâtiments recèlent les récoltes, dont la plus grande partie sert à l’approvisionnement des marchés des villes. L’ouvrier, quel que soit son métier, trouve toujours de l’occupation dans les grandes propriétés ; les femmes, les enfants même, y portent leurs bras, et si les travaux de tous enrichissent le grand propriétaire, il nourrit à son tour ses voisins. Rien n’égale la beauté des plantations, le bon état des clôtures : les abris, les fossés, les chemins semblent n’avoir jamais besoin de réparations ; les troupeaux y sont nombreux et composés d animaux choisis ; la basse-cour est aussi productive que peuplée ; le gros bétail est dans le meilleur état et les attelages sont formés des meilleures juments qui donnent de très beaux poulains. Enfin, s’il s’opère des améliorations dans l’agriculture et l’économie rurale, si cette branche importante de la richesse des nations tend chaque jour davantage au perfectionnement, c’est dans les grandes propriétés que l’on trouve à la fois la cause et les moyens de ces progrès ; on chercherait vainement ailleurs. »

Nous n’avons pas à discuter ici la valeur de cette thèse au point de vue économique : nous en voulons seulement conclure que se produisant peu de mois après la distribution des dotations dont nous avons parlé, et tant d’autres faits, elle confirme notre assertion, à savoir qu’il rentrait dans le plan impérial de consolider son gouvernement par l’appui d’une aristocratie territoriale, de rétablir, en définitive, petit à petit, un état de choses que la Révolution avait eu tant de peine à démolir. Et ceci est intéressant à faire comprendre alors que, pendant que nous écrivons, les représentants du parti