Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/468

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nication lancée par Pie VII. Napoléon songea qu’il lui fallait frapper les imaginations par un coup de théâtre pour le monde. Et quel coup de théâtre pour le monde de voir l’ancien petit officier d’artillerie partager le trône impérial de France avec une princesse issue d’unie des plus vieilles familles souveraines de l’Europe ?

Nous arrivons ainsi à l’affaire du divorce et au mariage autrichien.

« Le divorce de Napoléon, a dit Victor Duruy ; fut un divorce avec le bonheur ! » Et les gens superstitieux n’ont pas manqué de faire remarquer que depuis cette époque data pour l’empereur la période des revers. Il n’en fallait pas davantage pour attribuer à Joséphine un rôle d’ange gardien, de fée bienfaisante et de bonne étoile, singulièrement en discorde avec la vérité historique.

D’innombrables documents ont été récemment publiés qui montrent sous son vrai jour le ménage impérial, où les deux époux rivalisaient d’infidélités. Joséphine, au début de son mariage, n’aimait point Bonaparte qu’elle traitait avec un insultant mépris, qu’elle trompait avec une scandaleuse impudence.

Aussi l’idée de divorce entra-t-elle pour la première fois dès 1799 dans l’esprit de Bonaparte ; pendant son séjour en Égypte. Junot, à cette époque, venait de l’éclairer sur les écarts de conduite de Joséphine, et Bourienne, dans ses Mémoires, raconte la scène de colère qui suivit :

« Vous ne m’êtes point attaché, crie Bonaparte à Bourienne. Les femmes… Joséphine !… Si vous m’étiez attaché, vous m’auriez informé de tout ce que je viens d’apprendre par Junot : voilà un véritable ami. Joséphine ! Et je suis à six cents lieues… Vous deviez me le dire. Joséphine m’avoir ainsi trompé ! Elle !… Malheur à eux ! J’exterminerai cette race de freluquets et de blondins ! Quant à elle, le divorce : Oui, le divorce, un divorce public, éclatant ! il faut que j’écrive ! Je sais tout ! C’est votre faute ! Vous deviez me le dire. Si Joséphine est coupable, il faut que le divorce m’en sépare à jamais. Je ne veux pas être la risée de tous les inutiles de Paris ! Je vais écrire à Joseph ; il fera prononcer le divorce ! »

Bonaparte se calma pourtant, et Joseph n’eut point à intervenir, pour l’instant du moins.

Mais dès lors l’idée du divorce fit son chemin dans l’entourage de Bonaparte. Miot de Melito raconte qu’en 1800 « on bâtissait le plan d’une nouvelle constitution sur les bases de l’hérédité : on commençait déjà à parler du divorce et à le marier à diverses princesses ». Joséphine même en avait entendu parler, qui disait à Thibaudeau : « Les hommes les plus dangereux pour Bonaparte sont ceux qui veulent lui donner des idées d’hérédité et de dynastie, de divorce et de mariage avec une princesse ». Elle visait vraisemblablement alors Lucien et Joseph, les deux frères de Bonaparte, qui, l’un et l’autre, étaient ses ennemis. Le premier avoue d’ailleurs dans ses Mémoires