Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/48

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Lorsque les consuls jugeraient nécessaire d’établir une loi nouvelle, ils en informeraient le Conseil d’État. Au sein de ce Conseil, des spécialistes, des législateurs au sens précis du mot, entreprendraient l’étude approfondie des conditions dans lesquelles un texte pourrait être rédigé. De son travail résultait donc un projet de loi.

Ce projet de loi était alors renvoyé devant le Tribunat. Cette assemblée comprenait cent membres nommés par le Sénat et renouvelables, partiellement et tous les cinq ans, à partir de l’an IX. Les tribuns étaient rééligibles sans interruption dans leur mandat. Ils pouvaient siéger toute l’année ou, s’ils s’ajournaient, une commission de dix à quinze membres les remplaçait. Leur rôle était de discuter la loi soumise à leur appréciation. Et qu’on entende bien ce que la Constitution ou plutôt Bonaparte voulait dire en parlant de discuter la loi : des conseillers d’État venaient devant le Tribunat avec un texte, ils le lisaient et demandaient : « Trouvez-vous ce texte bon, ou le trouvez-vous mauvais ? » Et les tribuns, « sortes d’eunuques législatifs[1] », émettaient un vœu d’adoption ou de rejet sans pouvoir rien modifier. Trois d’entre eux se rendaient alors avec des conseillers d’État devant le Corps législatif. Là siégeaient trois cents membres de trente ans au moins, nommés dans les mêmes conditions que les tribuns, renouvelables comme eux, mais avec obligation d’un intervalle d’un an au minimum entre deux périodes d’exercice. Ils ne siégeaient que quatre mois. Le rôle des législateurs était simple : écouter ce que disaient, pour ou contre la loi en question, les délégués du Conseil d’État et du Tribunat, puis voter au scrutin secret sans discussion.

Ainsi, résumons : le gouvernement propose une loi, le Conseil d’État la met en projet, le Tribunat discute le projet sans le retoucher, et le Corps législatif vote la loi sans la discuter.

Si nous restons sur le terrain de la théorie, si, sans rechercher encore quels personnages ont été faits conseillers d’État, tribuns ou législateurs, nous nous demandons à quelle fin devait aboutir cette organisation législative, quelles conclusions seront les nôtres ? — L’exécutif a l’initiative des lois. Donc plus de projets émanant du peuple ou de ses représentants. Désormais, c’est une décision consulaire — du premier consul — qui met en mouvement le pouvoir législatif : on fera la loi qu’il voudra bien que l’on fasse. Mais au moins pourrait-on objecter que c’est un corps spécialement recruté parmi des hommes d’une haute compétence et agissant en pleine liberté, qui va formuler le texte demandé par le gouvernement. Eh bien, non, ce corps n’est pas libre : les membres en sont nommés par le premier consul, il sont révocables par lui, par conséquent à sa merci ! Il les tient par les 25000 fr. qu’il leur donne, par le titre éclatant qu’il leur confère. — L’indépendance qu’ils n’ont pas a été donnée au Tribunat. Là, la discussion peut s’élever :

  1. Lanfrey, Histoire de Napoléon Ier, II, 59.