Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/88

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tentions, n’était guère plus malin que Martiniana, aussi le pape lui adjoignit-il le général des Servites, Caselli, type parfait du diplomate ecclésiastique : retors, lent, habile dans l’art des concessions et des sous-entendus. Bonaparte en eut vite assez des discussions à distance et il appela à Paris les Italiens qui arrivèrent au début de novembre[1]. Le pape avait fort bien compris que le premier consul voulait avoir Spina près de lui pour mieux le circonvenir et lui arracher par une action personnelle ce qu’il ne pouvait obtenir par négociations lointaines. Aussi s’était-il résigné difficilement à le laisser partir. Mais les troupes françaises prenaient Pesaro… Pie VII, du moins, répéta bien à Spina « qu’il devait tout entendre, tout discuter, tout observer, ne rien conclure[2] ».

On comprend que dans ces conditions les choses ne devaient guère avancer et cela d’autant plus que les demandes de Bonaparte étaient nettes : reconnaissance par le pape du nouveau régime, c’est-à-dire adhésion à la Révolution, réorganisation administrative de l’Église de France par la démission de tous les évêques et la nomination partagée entre les deux pouvoirs de dix nouveaux archevêques et cinquante évêques, renonciation du clergé à tous ses biens territoriaux, mais traitement donné par l’État aux ministres du culte… Interminablement, les discussions s’engagèrent sur ces principaux points entre le monsignor romain et l’abbé Bernier. Car Bonaparte avait enlevé à Talleyrand, ancien évêque hostile à sa nouvelle politique religieuse, le soin de conduire les négociations et il en avait chargé Bernier, chouan traître à son parti mais aussi intelligent que méprisable au point de vue de la moralité. Vouloir entrer dans les détails infiniment compliqués de la négociation, nous ne pouvons y songer. Dès le point de départ, la divergence fut profonde et Bonaparte, quel que fut son désir de terminer l’affaire, ne put la hâter personnellement, parce que la situation extérieure retenait ses préoccupations. L’Autriche, nous le verrons plus loin, avait, en effet, repris la guerre et ce n’est qu’en janvier 1801, après les succès de Brune en Vénétie, de Macdonald en Suisse et surtout la victoire française de Hohenlinden le 3 décembre, qu’elle demanda à faire la paix conclue à Lunéville le 9 février 1801, Pendant ce temps-là, le pape demandait, par exemple, que le clergé fut mis en possession des biens non encore vendus, ou le retour d’ordres religieux, ou le rétablissement de la dîme, ou encore que les anciens prêtres mariés fissent pénitence pour avoir le droit e reprendre rang parmi les fidèles. Mais quand, après Lunéville, Bonaparte eut fait marcher contre l’armée napolitaine et forcé Ferdinand à traiter (Florence, 29 mars 1801), quand les Français eurent, envahi les États pontificaux, Pie VII comprit qu’il fallait jouer serré avec le premier consul et, tout en lui réclamant Bologne,

  1. C’est par erreur que M. Sorel, L’Europe et la Révolution française, t. VI, p. 66, dit le 8 octobre, c’est le 5 novembre.
  2. Sorel, O. c., p.66.