Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/90

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bien appeler le pape à son aide pour cette œuvre parce que la papauté avait pour cela des moyens employés pendant des siècles avec succès, mais il n’entendait pas que Rome s’attardât dans d’énervantes discussions ni surtout qu’elle l’obligeât à reculer l’avènement de sa toute-puissance.

« Citoyen, j’ai l’ordre formel du premier consul de vous informer que votre première démarche auprès du Saint-Siège doit être de lui demander, dans le délai de cinq jours, une détermination définitive sur le projet de convention et sur celui de la bulle dans laquelle la convention doit être insérée qui ont été proposés à son adoption… Si des changements vous sont proposés et que le délai expire, vous annoncerez au Saint-Siège que votre présence à Rome devenant inutile à l’objet de votre mission, vous vous voyez obligé à regret de vous rendre auprès du général en chef…[1] » Tels sont les termes de la lettre envoyée à Cacault par Talleyrand, le 19 mai 1801 (29 floréal an IX). C’était l’ultimatum. Cette fois, le Vatican était acculé. Consalvi déclarait que si Cacault partait le pape mourrait[2], et lui-même s’étonnait de penser à la rupture sans mourir tout aussitôt. Quant à Pie VII, absolument atterré à la pensée que Cacault allait se retirer à Florence et l’armée française marcher sur Rome, sa première pensée fut de chercher un refuge, mais il s’aperçut, dès ses premières ouvertures à l’Espagne, que Charles IV n’avait nullement envie de l’accueillir, c’est-à-dire de se brouiller avec Bonaparte. Les cardinaux, consternés par la tournure que prenaient les événements, ne savaient que conseiller ; le désarroi était complet, lorsque Cacault eut une idée ; il alla voir le pape et lui dit : « Privez-vous de Consalvi quelques mois ». Envoyer le secrétaire d’État à Bonaparte, c’était le flatter et tenter de le calmer. Le pape commença par pleurer ainsi qu’il convient, puis il alla « demander à Dieu si le voyage peut être heureux… » La réponse étant sans doute insuffisante, il la posa aux cardinaux qui, d’une seule voix, déclarèrent qu’il fallait tenter de ce moyen. Et Consalvi partit pour Paris, et, une fois encore, Bonaparte n’eut ni le oui ni le non qu’il demandait. On peut trouver étrange que ce soit précisément le représentant du premier consul qui ait trouvé le nouveau procédé d’atermoiement. On a dit, et cela ne semble pas vrai, qu’il ne le fit qu’après entente avec son maître. En réalité, Cacault tenait à ce qu’un traité fut passé ; il avait déjà eu avec la papauté des relations diplomatiques, il mettait en quelque sorte son honneur à ce que son rôle ne fût pas inutile : en outre, il était un des rares hommes qui approuvassent la politique du premier consul en matière de religion et cela sans se faire illusion sur le caractère impopulaire de cette politique[3]. Car, en effet, il prévint à bien des reprises Consalvi qu’en France on ne voulait pas d’un concordat, et il fit même tant et si bien que le cardinal, déjà effrayé à la pensée

  1. Lettre de Cacault à Talleyrand, 28 mai 1801.
  2. Lettre de Consalvi à Spina, 30 mai 1801.
  3. Le rôle de Cacault est surtout connu par le livre de son secrétaire Artaud, publié en 1824 : Histoire du pape Pie VII.