Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/116

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pension n’avait un sens que si le ministère avait un plan politique. Sous l’habile main de M. Decazes le plan peu à peu s’ébauchait.

En même temps, la majorité ultra-royaliste entendait profiter de sa puissance pour payer au clergé sa dette : c’était celui-ci qui recrutait pour elle dans le pays, fidèle à sa mission éternelle qui est de comprimer les esprits et les consciences. Depuis longtemps, la pensée hantait l’esprit de ces revenants attardés de l’ancien régime de restaurer la splendeur disparue du clergé. Comment faire ? Des tentatives furent faites, dont quelques-unes l’emportèrent et qui méritent l’attention et le souvenir.

Tout d’abord, la Chambre décide de supprimer les lois civiles qui interdisent aux couvents de recevoir ; d’abroger l’art. 409 du Code civil qui interdit au confesseur de recevoir d’une main en bénissant de l’autre, de profiter ainsi des défaillances de la volonté expirante ; elle décide que les détenteurs des anciens biens du clergé les lui restituant de suite peuvent en garder les fruits… Qu’est-ce à dire, sinon que cela impliquait la restitution des biens nationaux ?

La Chambre des Pairs n’osa aller si loin ; elle repoussa les deux dernières dispositions, mais elle accueillit la première, par laquelle les biens de mainmorte se trouvaient juridiquement reconnus. Mais qu’importait cette demi-victoire ? Les biens de mainmorte dépendaient de la générosité du testateur et, quoique le royaume de l’Église ne soit pas de ce monde, celle-ci ne pouvait attendre une lointaine et problématique libéralité : on va tout de suite, dans la détresse de la France épuisée et encore saignante, lui tailler son domaine et lui remettre sa richesse. Le gouvernement avait, le 2 janvier, voulu améliorer le sort du clergé, et déposé en ce sens un projet qui va être travesti : ce que voulait le gouvernement, c’est faire profiter les ministres du culte des pensions attribuées à des ministres décédés et qui tombaient à la caisse de l’État. On va voir ce que fit de ce projet la commission : tout d’abord elle supprime la pension faite aux prêtres assermentés et mariés et la réserve à ceux qui ne le sont pas. Les deux Chambres approuvent cette mesure qui jette dans la misère de nombreux prêtres et leur famille. Mais est-il digne de l’Église de recevoir pour sa tâche si haute un humiliant salaire ? Dans un autre rapport, M. de Kergolay montre qu’il ne le pense pas, et voici à quelles mesures il s’arrête : on inscrira au Grand-Livre des rentes représentant 41 021 307 francs ; ces rentes seront perpétuelles et appartiendront à l’Église. On lui remettra les bois et les biens arrachés, quoiqu’ils servent de gage, par un contrat public, à des créanciers de l’État. On repoussa la première proposition et on atténua la seconde : on ne restitua que les biens non vendus.

L’action de l’Église cependant continuait, servie par des hommes qui lui étaient attachés de toute leur force pensante. Parmi eux, M. de Bonald, rhéteur de la théocratie, sorte de moine converti à la laïcité, sans doute pour