Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/174

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libérales, qui tenaient tout entières dans l’abrogation de la loi électorale, rendirent impossible toute union. Du côté droit, aucun espoir et, le 19 décembre, M. de Richelieu et ses collaborateurs démissionnaires étaient remplacés par MM. de Villèle et Corbière, que le comte d’Artois présentait à Louis XVIII.

Voilà à quoi avait abouti cette combinaison misérable des éléments les plus disparates, où quatre anciens collaborateurs de Napoléon s’étaient mêlés à d’anciens émigrés, où la fortune de la plupart des ministres était fondée sur une abdication. Pendant un an, ces ministres furent des dupes, les dupes de la droite extrême, et le seul hommage que l’histoire leur puisse rendre, c’est qu’ils ne furent pas des dupes volontaires. Mais qu’importe à la politique l’intention dont il ne faut tenir compte que pour la sauvegarde de la probité ? On peut dire de ces ministres qu’ils ont livré peu à peu le patrimoine qu’ils avaient à garder aux ultras, et que toutes les violences qui vont pendant huit années tout recouvrir leur sont dues.

M. de Richelieu ne devait que de peu de mois survivre à sa chute et, le 17 mai 1822, s’éteindre, sans agonie, d’un transport au cerveau. Il ne fut pas un politique. Il n’avait pour le gouvernement aucun goût, ne savait pas défendre ses prérogatives, tenait surtout au repos et, au demeurant, ne possédait sous un régime parlementaire aucune des qualités nécessaires, aucun des défauts admis, n’avait ni l’éloquence de M. de Serre, ni l’esprit d’intrigue de M. Pasquier. Il a rendu à la France, en hâtant la libération du territoire, un service qui ne le défendit pas contre les insinuations abjectes. N’était-il pas accusé d’avoir, lors de la disette de 1817, favorisé la venue des blés d’Odessa, pour enrichir la Russie et complaire au czar, son ami ? Ecœuré, fatigué, brisé, il quitta le pouvoir avec joie et, quelques mois après, pauvre et sans tache, mourait en emportant l’estime de tous, après avoir honoré son pays et fidèlement servi la royauté.

À ce ministère, que ni le nom de M. de Richelieu, ni la parole de M. de Serre n’avaient pu défendre, et qui manqua surtout de clairvoyance et de courage, succéda le ministère de M. de Villèle. Aussi bien, depuis longtemps, la liste ministérielle, rédigée par le comte d’Artois lui-même, était prête. M. de Villèle avait montré une des qualités les plus rares de la politique, qui est la patience. Il avait su attendre son moment et ne pas saisir d’une main trop prompte les apparences du pouvoir sans être certain d’en posséder aussi la réalité. M. de Richelieu lui avait offert un portefeuille en 1818, lors de son premier ministère, et M. de Villèle avait refusé, sentant bien que l’heure de « l’ultracisme » n’avait pas encore sonné. Il attendait que périssent sous ses yeux et par ses coups, tantôt violents, tantôt sournois, les deux formes de gouvernement nécessaires, le libéralisme et le royalisme constitutionnel. Avec M. Decazes le libéralisme tomba, avec M. de Richelieu tomba le royalisme constitutionnel, et c’est alors seulement, devant l’inanité de ces tentatives