Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/178

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verses parlementaires, où MM. de Villèle et de Corbière avaient appris à mesurer leurs forces amies, à connaître et à pratiquer les hommes de leur parti. Depuis, cette congrégation avait passé sous la direction effective et infatigable d’un jésuite, le Père Ronsin, et était devenue aux mains invisibles de la redoutable Société une arme souple et forte. Elle avait pris comme siège, le siège de ces missions étrangères qui avaient répandu à l’intérieur leur lave, et dont nous avons ailleurs signalé les excès. L’important pour elle, était de ne pas paraître et d’agir, d’avancer et de retirer la main, de frapper sans que rien décelât l’origine du coup. Ainsi elle étendit des tentacules formidables, visibles, celles-là, dans leur action accapareuse, mais qui semblaient entre elles sans lien alors qu’un nœud central, la Congrégation, les rattachait. Il y eut la Société des bons livres qui, fidèle à son nom, mettait en vente ou en circulation gratuite les livres, les brochures qui écrasaient sous l’erreur les germes de philosophie libératrice que la grande tempête de 1789 avait dispersés sur le pays. Il y avait la Société des bonnes lettres, cénacle littéraire et artistique, où M. de Chateaubriand daignait quelquefois montrer sa personne, et qui groupait les esprits enclins à la douceur d’une littérature où étaient flétries et répudiées toutes les audaces de la pensée. Il y avait la Société des bonnes études, sorte d’œuvre post-scolaire, qui réunissait, pour les former davantage, les jeunes étudiants, et habituait leur esprit à la discipline, les accoutumait à trouver dans les livres ce qui tue et non ce qui vivifie. Ainsi, par ces trois grands bras jetés sur l’avenir, toute la jeunesse était ramassée, ramenée, parquée dans l’obscurité salutaire. Mais les femmes n’échappaient pas à cette terrible absorption de la substance humaine. La Société de l’adoration du Sacré Cœur de Jésus et du Sacré Cœur de Marie les attirait, mystiques, rêveuses, lâchement abandonnées par la société civile qui n’a pas encore libéré les esprits dont elle attend cependant son triomphe. Enfin les ouvriers étaient intéressés au mouvement religieux par la Société de Saint Joseph.

Toutes ces sociétés étaient pleinement laïques, ne recevaient leurs adeptes que pour les enrôler dans la vie toute politique et sociale, ne les enlevait pas au grand courant laïque. Ces six associations étaient dirigées par la Congrégation, organe supérieur et central qui veillait sur elles, les organisait, les administrait. Chacune d’elles était régie par un directeur, qui était un jésuite, cinq dignitaires et un conseil de six ou huit conseillers laïques. Au-dessous de ces directions particulières se tenait le directeur général de la Congrégation, qui était le Père Ronsin, et les deux coryphées, MM. Sosthène de La Rochefoucauld et Mathieu de Montmorency. Toute la société aristocratique, représentée par ses duchesses, ses généraux, ses pairs, ses députés, ses nobles, se rendait, comme à un agréable salon, à ses réunions étroites et sévères, où le rite le plus ponctuel les asservissait, où la discipline broyait la pensée. C’est là que prenait conscience de sa force le royalisme rétrograde,