Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/184

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du complot, et du complot militaire : précisément les carbonari avaient fait dans l’armée des adeptes. La plupart des ventes étaient militaires et groupaient en elles, avec un petit nombre d’officiers, un nombre plus étendu de sous-officiers, et quelques soldats. Ces ventes militaires, à qui le hasard des déplacements de garnison faisait sillonner la France, s’occupaient toujours, sur leur passage, d’en former d’autres. Et ainsi, en 1821, les cadres inférieurs de l’armée prêtaient leurs chefs obscurs à la conspiration.

Le premier complot formé fut celui de Belfort. Joubert, Bazard, Voyer d’Argenson s’y étaient rendus et, sûrs d’un régiment, avaient formé le projet de prendre Belfort, puis de donner la main à la vente de Mulhouse, que Kœklin avait fondée, de se joindre à la vente de Strasbourg et, dans cette ville forte, de hisser le drapeau tricolore et d’attendre. Le 24 décembre 1821 était la date de l’événement, mais cet événement fut reculé. La Fayette s’était engagé à se présenter à Belfort pour former avec Voyer d’Argenson et Kœklin un gouvernement provisoire. Mais il fut retenu à son château de Lagrange (Seine-et-Marne) par la commémoration de la mort de sa femme, décédée là le 24 décembre 1807, des suites de la maladie par elle contractée dans les prisons d’Omulz, où elle subit héroïquement la même captivité que son mari. On ajourna la révolte au 1er janvier ; La Fayette se met en route avec son fils Georges. À Belfort tout est prêt ! les conjurés sont tellement certains du succès qu’ils revêtent ce jour-là, dans un banquet, les uniformes bannis et la cocarde tricolore, c’est le colonel Pailhès qui doit agir, colonel en demi-solde ; toutes les dispositions sont prises. L’adjudant Tellier donne l’ordre à toutes les compagnies de mettre la pierre aux fusils et de se tenir prêtes pour la nuit. Mais voilà que tout s’écroule : un sergent que la confidence n’avait pas touché demande des explications le soir même à un capitaine, qui en réclame à son colonel, qui prévient le major de la place. On décommande les mesures ; on arrête quelques-uns des conjurés qui s’enfuyaient ; on arrête Pailhès, Buchey et Dublar. Mais pendant ce temps, La Fayette, son fils, Voyer d’Argenson, Manuel s’avancent. M. Bazard se précipite à leur rencontre, arrête La Fayette à quelques lieues, fait bifurquer sa voiture, qui maintenant roule sur Gray, et va chercher un abri chez un ami ; les autres personnes qui le suivaient, parmi lesquelles était Manuel, furent averties.

Pendant qu’on instruisait le procès de Buchez, Dublar et Pailhès, une tentative fut faite pour leur délivrance. Elle avait à sa tête l’ex-colonel Caron, acquitté dans la conspiration du 19 août en même temps que Pailhès. Caron se confie à un ancien officier, Roger, et à un sergent en activité, Delzaive. Ce dernier trahit les confidences de Caron ; mais les autorités, afin d’avoir en mains autre chose qu’un témoignage, méditent d’attirer Caron dans un piège. Delzaive l’avertit qu’un escadron va aller le rejoindre ; effectivement Caron, sur la route de Mulhouse, trouve des hommes qui le rallient avec le cri de « Vive Napoléon ! ». Il prend le commandement ; la petite troupe