Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/190

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accomplie dans sa sauvage simplicité. Mais quand un complot veut renverser un régime, il faut bien en instruire des centaines de confidents qui, sans cela, seraient surpris par l’événement. Et voilà alors la contradiction insoluble, c’est que trop peu d’hommes ne suffisent pas à l’ampleur de l’entreprise, et trop d’hommes peuvent toujours contenir un imprudent ou un scélérat. En fait, sur cinq conspirations militaires, la Restauration a donné l’exemple de cinq délations militaires, et c’est par elles que tout a échoué.

Est-ce à dire cependant que ces conspirations aient été finalement inutiles ? Il n’est jamais inutile de faire appel aux réserves de noblesse et de vaillance que l’homme porte en lui. Mettons à part les officiers généraux et les officiers supérieurs du premier Empire, qui ne pouvaient se consoler de la chute du régime, pour lesquels la Restauration, qui aurait pu les rallier, fut d’ailleurs injuste et brutale, et qui formèrent un syndicat militaire en face du syndicat royaliste. Les autres hommes qui se sont levés avaient un admirable désintéressement, s’ils ne possédaient qu’un idéal imprécis et une doctrine un peu confuse. Ils ont maintenu l’intégrité du patrimoine de fierté humaine que les générations doivent se transmettre et montré qu’ils avaient hérité de la Révolution le mépris souverain de la mort. Ne nous plaindrions-nous pas si cette époque, au lieu d’avoir été troublée même par des tumultes sans lendemain, s’était silencieusement résignée au joug ? Ne pense-t-on pas que les frères de ces hommes, en 1830, leurs fils en 1848, ont frappé d’un bras plus robuste parce qu’ils vengeaient des martyrs ? Et si le suffrage universel a enfin été restitué au peuple, avec la force révolutionnaire qu’il contient, si, par lui, les expropriations politiques et économiques se préparent au profit d’une humanité affranchie, n’est-ce pas un peu à toutes ces révoltes saintes que nous le devons ? Il n’y a pas une immolation, une goutte de sang, une douleur, une larme, qui soient inutiles dans l’histoire du progrès humain…

On pense ce que put être la session parlementaire qui s’écoula pendant que les faits que nous venons de relater se produisaient et quelles délibérations la Chambre a pu prendre au bruit des feux de peloton et du couperet inlassable. La réaction sanglante dans le pays était doublée d’une réaction férocement froide au Parlement. La première victime qui lui fut offerte fut naturellement la liberté de la presse qui, restreinte et mesurée, éclose débilement sous le regard de la censure, n’en fut pas moins responsable de tous les maux. C’est elle qui avait déchaîné les complots ; c’est la plume, même asservie, qui avait aiguisé les poignards, et pour punir la glorieuse et éternelle vaincue, c’est elle qu’on voulut décapiter. M. de Peyronnet, qui succédait à M. de Serre, trouva trop libérale la loi. Et il convient de rappeler les atteintes qui lui furent portées, car elles sont démonstratives du fol esprit de réaction dont la France va souffrir. On supprime le décret qui punissait l’attaque au roi constitutionnel et, par là, on signifie