Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lendemain de ce succès on contempla l’envers de la force et, comme toujours, le spectacle fut hideux. Qu’avons-nous gagné en Espagne ? Des malédictions qui ne furent même pas compensées par des profits. Le peuple exaspéré, exploité en 1808 par la soldatesque impériale et par ses chefs rapaces, meurtri en 1823, garda au cœur une blessure. Le roi ne fut naturellement pas reconnaissant pour qui l’avait remis sur son trône branlant. Ce fut l’Angleterre qui recueillit le bénéfice de toute la campagne et c’est avec elle que les traités de commerce furent élaborés.

Le seul profit fut, en France, pour la réaction abominable. Désormais elle se pouvait tout permettre et elle se vautra partout. Qui pouvait résister à ses coups ? Elle avait été jusque-là, quoique honteuse d’elle-même en son humilité devant l’étranger, redoutable à la liberté. Maintenant elle avait lavé ses souillures, elle le croyait du moins, repris contact avec la victoire militaire, et que les lys fussent salis de sang, tout comme l’aigle impériale, il y avait pour elle orgueil et joie. Qui pouvait l’arrêter, lui répondre, lui résister ? Elle abattit autour d’elle, pour le compte de la Congrégation, toutes les têtes, illustres ou humbles, où le rayonnement de la pensée lui désignait une hostilité. Les universités furent vidées des rares hommes dont la parole libérale pouvait encore élever l’âme de la jeunesse. Même M. Guizot, qui avait été le complice assidu et vertueux, dans sa sophistique doctrinale, de la première heure, et que n’avait pas rebuté la solitude de Gand, même lui dut descendre de sa chaire. Royer-Collard fut chassé de la sienne, car ce royaliste sévère et probe, qui avait rêvé l’impossible réconciliation des deux mondes, l’ancien et le nouveau régime réunis, la vie se suffisant du sépulcre, Royer-Collard était suspect ! Les journaux, même littéraires, furent frappés, les écrivains dépouillés de leur pension, les simples particuliers traqués, un curé, sous l’ordre de l’évêque, refusant le baptême à un nouveau-né parce qu’il était tenu sur les fonts baptismaux par Manuel (De Vaulabelle, tome VI). Enfin on aboutit au but, qui était de dissoudre la Chambre et de la faire réélire pour sept années. Le 25 décembre 1823 cette Assemblée fut dissoute. Qu’avait-elle refusé aux caprices ministériels ? Rien. Elle avait voté la guerre, voté les crédits, chassé Manuel de la tribune, meurtri la liberté des peuples sous toutes ses formes ! Était-il possible de supposer qu’une autre Chambre serait plus docile ? Cette gageure paradoxale fut tenue et gagnée. On croyait avoir atteint les limites dernières de la réaction : on ne faisait que passer le seuil. L’histoire de la France va maintenant descendre dans la nuit.

Cette Chambre qui allait être élue, on se réservait de lui faire tenir sept années durant son rôle parlementaire — sauf la dissolution toujours possible à la demande du roi. On voit par là que le ministère engageait toute la partie et qu’il s’exposait, en cas d’insuccès même partiel, à se river pour un temps durable à une Chambre hostile. On s’attendait donc à ce que