Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/208

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le Gouvernement prît ses ordinaires précautions et que la candidature officielle, depuis longtemps éclose et sous tous les ministères, apparût encore, qu’elle fût soutenue avec vigueur par les agents du pouvoir et imposée au corps restreint des électeurs presque tous tributaires de l’État ; personne ne s’en indignait, ne s’en étonnait même. Mais la débauche de l’arbitraire fut telle que l’imagination forcenée d’un tyran ne l’aurait peut-être pas osé rêver si formidable. M. de Peyronnet, bien entendu, adressa des circulaires à ses agents, invoquant avec éclat la théorie nouvelle que celui qui sert le Gouvernement le trahit s’il n’use de sa fonction pour combattre ses ennemis. Cette littérature, que nous jugeons odieuse à distance, était devenue fade par son propre abus. Cette fois on alla plus loin : on fit appel aux procureurs généraux pour leur recommander de surveiller les notaires, les huissiers, les avoués, tous agents de l’État et qui lui devaient le dévouement complet. On eût pu supporter encore cette forme de la pression officielle. Mais celle-ci fit appel au faux : pour voter, un électeur devait payer un impôt de 300 francs. Ceux qui, parmi les électeurs, ne furent pas jugés capables de voter pour le pouvoir, subirent, pour cette année, un dégrèvement inattendu qui les rejetait hors de la liste des électeurs. D’autres, qui inspiraient confiance, étaient plus imposés et parvenaient ainsi, par un accroissement factice, au rang d’électeurs. À ceux-ci on refusait leurs titres : à ceux-là on les renvoyait sous prétexte que leurs prénoms n’étaient pas semblables. Croit-on qu’un électeur qui s’appelait Chrysosthome fut privé du droit de voter parce que, si une h se trouvait sur son acte de naissance, cet h ne se retrouvait plus sur un autre de ses actes ?

Bien entendu, le résultat de ces élections fut tel qu’on le pouvait attendre. Treize libéraux seulement purent triompher des honteux artifices par lesquels la volonté électorale avait été altérée. Le général Foy, MM. Casimir Perier et Benjamin Constant, qui avaient subi tout le choc de la réaction, revenaient. Les premières séances qui suivirent le discours du roi furent naturellement consacrées à la validation des pouvoirs. C’est en vain que la gauche signala les fraudes, les délits, les crimes commis contre la morale et contre la loi. Une invincible résistance lui fut offerte par une droite insolente, dont la victoire spoliée accroissait encore l’arrogance. Les libéraux, renforcés par quatre députés du centre gauche, dont Royer-Collard, formaient avec eux un groupe de dix-sept représentants, supérieur, certes, par la valeur morale et oratoire, mais ne pouvant même pas surmonter de sa voix, sans cesse étouffée, le tumulte concerté et grandissant. Seul, Benjamin Constant faillit être frappé, à la demande de M. Dudon, qui lui contesta sa qualité de Français, sous le prétexte de son extranéité matérielle et sans tenir compte de la nationalité de ses ascendants maternels et paternels qui étaient Français. M. Dudon s’emporta même jusqu’à reprocher à Benjamin Constant de louches spéculations. L’orateur libéral rejeta avec mépris cette insinuation et foudroya