Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/218

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protestèrent. MM. Portalis, Pasquier, de Broglie s’honorèrent à soutenir les droits de la raison et ceux de la foi sincère, par hasard d’accord, contre l’attentat légal. Il était réservé au théoricien absolu de la monarchie dogmatique, à M. de Bonald, de prononcer de sanguinaires paroles et, pour ainsi dire, d’aiguiser, au rebord de la tribune, l’arme souillée du bourreau. « Que fait-on en prononçant en cette matière une condamnation à mort, disait-il, sinon renvoyer devant son juge naturel le criminel sacrilège ? » L’orateur raya lui-même d’une main pudiquement tardive cette abominable parole, mais la tache de sang est demeurée sur ce discours. La Chambre des pairs, après avoir substitué à la peine du parricide, qui entraînait la chute du poing, l’amende honorable du coupable, crut avoir assez fait pour l’humanité et vota cette loi bestiale où le spiritualisme chrétien venait chercher un refuge (127 voix contre 92). Peut-être était-ce dans l’esprit des pairs qui attachèrent leur nom à ce legs sanglant de l’ancien régime, peut-être était-ce de leur part une concession théorique qui leur permettait de faire excuser leur résistance pratique à la loi sur les congrégations de femmes. En fait, la loi du sacrilège ne fut pas appliquée : les pairs savaient qu’elle ne le serait pas, et ils la votaient pour satisfaire platoniquement une Église dont les colères avaient été allumées par leur précédent refus hostile aux congrégations. À tout prendre, et pratiquement, il valait mieux ne pas laisser éclore dans une nuit funeste des couvents innombrables, et voter une loi qui ne serait pas appliquée. Peut-être est-ce bien le compromis douteux où s’est arrêté l’esprit parlementaire du temps. Si cela est, ce compromis est haïssable. Certes, le bourreau ne fut jamais mis en mouvement par cette loi, mais c’est aux lois votées que se juge une époque : et qu’on puisse dire plus tard que la Restauration a pris de pareilles mesures, voilà qui jette sur elle un reflet sinistre et sanglant.

La Chambre des députés devait, en effet, souscrire à ces mesures, au mois d’avril 1825, par 210 voix contre 95. En vain Royer-Collard immortalisa le débat en y mêlant sa parole grave et triste, traductrice sincère des regrets qui agitaient cette âme désabusée par les excès du royalisme. En vain il distingua entre le péché que la religion châtie des feux éternels, et le crime que la société frappe de ses plus provisoires arrêts, rien ne tint devant la majorité frénétique qui voulait donner pour symbole au dogme le code pénal et qui ne voyait pas ce qu’il y avait de dérisoire à pleurer au pied d’une croix pour exulter au pied d’un échafaud.

La Chambre discuta avant la loi sur le sacrilège et, tandis que la Chambre des pairs était saisie de la loi sur le sacrilège, la Chambre discuta l’indemnité des émigrés. On se rappelle que M. de Villèle avait vainement essayé de trouver des ressources pour doter les émigrés. Aussi il voulait tenir, vis-à-vis de l’extrême fraction de son parti, une promesse faite et donner une satisfaction au personnel aigri, remuant, enveloppant et impé-