Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/228

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ses préfets, se réunissant, donnant l’impression d’une minorité factieuse, qui aurait détourné l’arme des lois et en frapperait une nation un moment stupéfaite. Quand M. de Villèle crut que tout était prêt, il agit et le même jour, 5 novembre 1827, le Moniteur enregistra quatre ordonnances : 1o la Chambre était dissoute et les élections fixées au 24 novembre ; 2o la censure était retirée ; 3o soixante-seize pairs nouveaux étaient nommés ; 4o les présidents des collèges électoraux étaient choisis.

Ce coup de force semblait devoir frapper les oppositions diverses que le gouvernement rencontrait sur son chemin, surtout en ne leur laissant pas le temps de se rassembler, de se concerter. Du même coup, la Chambre des pairs expiait son hostilité, en recevant l’afflux nouveau de soixante-seize membres qui allaient noyer sous leur docilité toute prête l’indépendance relative de l’assemblée. Mais le gouvernement qui se portait à de telles mesures s’obligeait à vaincre totalement ou à périr. Il avait frappé toutes les têtes, les individus, toutes les collectivités : l’Académie, en la personne de Villemain qui avait protesté contre la loi de justice et d’amour, la Chambre en la dissolvant, la Chambre des pairs en brisant son ressort de libre contrôle, les ouvriers, les industriels, les gardes nationaux, ceux qui pensent, ceux qui travaillent, la presse, le livre, et défié ainsi toutes les forces vives et saines dont une nation ne peut se passer sans mourir. Comment vaincre tous ces ennemis qui, d’ailleurs, puisque le combat prenait cette âpreté et cette ampleur, allaient s’unir tous ensemble ? Le zèle maladroit des préfets, les violences, les fraudes, rien de tout cela ne pouvait arrêter le mouvement formidable qui surgissait de la rue, des salons, des ateliers, des banques, ameutait les carrefours et surexcitait les esprits. La presse donne l’exemple : elle soutient à la fois M. de la Bourdonnaye, l’ancien ultra, converti aux exigences du parlementarisme, et La Fayette ! Tout était prêt : en quelques jours, les indignations surprises avaient noué un concert irrésistible…

Le gouvernement profita de quelques incidents à Paris pour créer un mouvement de stupeur : à la suite de manifestations puériles par le nombre et par l’âge des manifestants, la troupe avait tiré. Mais la province ne fut pas entamée par l’exploitation de cette bagarre sanglante où la main de la police avait laissé des traces visibles. L’opposition revenait avec soixante sièges. Paris, sur 8 000 suffrages exprimés, avait donné 1 100 voix au gouvernement. Benjamin Constant n’avait eu contre lui que 22 voix. Royer-Collard était élu sept fois. M. de Peyronnet n’était élu nulle part !

C’était la défaite irrémédiable et sombre. En vain, M. de Villèle voulait se rattacher au pouvoir qui lui était dérobé, conclure, transiger, promettre, duper.

Toutes les fractions lui montrèrent un visage irrité ou méprisant. Il dut comprendre. Il dut partir et ne s’y résigna qu’en janvier 1828. Après la