Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/250

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MM. Thiers, Mignet, Armand Carrel, dans le National ; Baude, dans le Temps, d’autres encore dans le Courrier Français, meurtrissaient chaque jour de leur plume un régime qui enlevait l’espérance aux plus confiants et le calme aux plus placides. Penché sur cette opinion bouillonnante, le duc d’Orléans, habile, irréprochable, incapable de compromettre par un mot, même par un geste, sa situation de prince du sang, observait. Il attendait. Il s’offrait au roi comme un ami discret, à la bourgeoisie comme un soutien sûr. Qu’il le voulût ou non, il était enveloppé de toutes les espérances d’une bourgeoisie qui se serait accommodée de Charles X libéral, qui ne voulait pas la ruine de la monarchie, qui avait besoin de l’autorité politique pour soutenir son autorité sociale, mais qui ne pouvait pas offrir son front et sa conscience aux outrages. Cette bourgeoisie, dont M. Casimir Périer était le représentant et Dupin le conseil intéressé, voulait un changement dynastique dans la monarchie et se contentait d’une charte libérale, loyalement observée.

Tous ces désirs, à peine voilés, dénoncés même par l’imprudent langage du général Sébastiani, eussent dû éclairer le gouvernement et lui montrer que c’était la personne de Charles X qui était visée. Royalistes sincères, ces ministres, par amitié pour le roi, par affection pour le régime, auraient dû disparaître. Même à ce moment, la réconciliation était possible, il suffisait que Charles X s’inclinât, en roi et en honnête homme, devant la volonté du pays légal. Mais où gouvernaient l’amour-propre, la passion, la rancune, l’ambition, il n’y avait plus place pour la sagesse, et le sort de la monarchie fut joué comme aux dés par des mains puériles, dont on ne peut pas dire qu’elles étaient affolées, tellement elles étaient inconscientes de l’œuvre pour elles mortelle qu’elles accomplissaient.

Le conseil se réunit donc. M. de Peyronnet trouvait peu opportunes les ordonnances préparées, et pour que cet esprit imprévoyant fût frappé de cette éventualité, il fallait vraiment que la réalité fût bien proche des regards. Mais M. de Polignac insista : il dépeignit, telle qu’il la connaissait par ses préfets, la situation de la France, impatiente de voir son roi triompher et l’autocratie satisfaite ; la masse paisible et qui ne recherchait qu’un bonheur matériel, repoussant les tentatives ambitieuses d’une minorité brouillonne. Eternelle caricature de l’âme de la France à toutes les époques ! Entraînés, les collègues du prince de Polignac ne réclamèrent plus que le droit de signer respectueusement après le roi les ordonnances fameuses. Un lourd silence pesa sur le conseil après que chaque ministre eut d’un mot attaché sa responsabilité au document meurtrier des prérogatives légales. Le dauphin, insouciant, incompétent, frivole, appuya d’un signe de sa tête légère ces mesures graves. Charles X réfléchit, le front dans ses mains. Revit-il, en quelques secondes, les journées révolutionnaires, la fuite éperdue de l’émigration, la voie ouverte à la charrette, une couronne abattue, un régime tombé ? Cela est infiniment probable. Cette vision funèbre l’animait alors.