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liaire redoutable et désintéressé qui avait été jusque-là le soldat de ses ambitions ? Elle chercha donc à préparer une résistance légale. Dans les bureaux du National, les journalistes se réunirent, et la plume à la fois modérée et vive de M. Thiers, rédigea, pour une protestation collective, un document qui fut publié. MM. Dupin et Casimir-Périer effrayés fermaient leur demeure totalement ou à demi aux protestataires.

Les députés dispersés se rassemblaient avec peine. Dans la soirée du 26 juillet tout semblait perdu pour la cause de la liberté et Saint-Cloud où la Cour, des hauteurs ensoleillées, pouvait apercevoir la capitale, recélait à ce moment tous les espoirs… Mais le peuple va entrer en ligne, le peuple, que cette querelle ne touche pas et qui ne va travailler qu’au changement d’un trône, ce peuple accusé d’ignorance, et qui seul clairvoyant, même où son intérêt immédiat n’apparaît pas, lève son bras robuste, car il sait, par l’histoire de son patient labeur, que sa victoire totale dépendra des défaites partielles imposées par lui aux préjugés et aux réactions.



CHAPITRE XVIII


LES TROIS GLORIEUSES


La folie de la cour. — Le peuple de Paris. — Défaillance de la bourgeoisie libérale. — Première journée. — Seconde journée. — Paris est debout. — L’insurrection est générale. — Le drapeau tricolore. — Marmont supplie la cour de rapporter les ordonnances. — Ordre d’arrestation contre six députés. — Les réunions des députés. — Troisième journée. — Défection de deux régiments. — La commission municipale. — La Fayette général en chef. — Départ de Saint-Cloud. — Le duc d’Orléans lieutenant général. — Sa visite à l’Hôtel de Ville. — La royauté nouvelle. — Chute de l’ancienne. — La République. — Jugement sur la Restauration.


Le sort était jeté ! Une cour hostile à tout progrès, fermée à toute idée moderne, conduite par un gouvernement inconscient, allait se perdre. L’histoire de ce suicide historique vaut, pour plus d’une raison, d’être conté. D’abord, parce que ce récit, qui appartient à notre histoire, marque, plus peut-être que tous ceux qui le précèdent, ce qu’était l’état d’esprit de Charles X, et quels hommes, surgis des profondeurs du passé au début du XIXe siècle, gouvernaient le pays. Par le contraste entre ces hommes, semble-t-il, d’une autre race, et la société qui les entoure, l’esprit s’imprègne d’amertume, il est vrai, mais aussi de lumière. Et puis le récit des faits héroïques qui marquèrent ces trois journées libératrices montre le peuple sur le piédestal immortel d’où la philosophie décevante du scepticisme historique ne le pourra faire choir. Il fut intrépide, ce qui est peu, il fut désintéressé ; il fusilla, pour se défendre, sur les barricades du droit ; mais, le coup parti, il tendit la main aux blessés, même aux Suisses, héritiers historiques des assassins du 10 août. Il ébranla sous son poing robuste la porte royale des Tuileries, mais il garda sous sa main délicate des trésors