Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/30

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l’apparition de tant de cocardes blanches. Puis il se prit à réfléchir en attendant le duc de Vicence, l’ami fidèle qu’il avait, dès le 31, envoyé à Alexandre.

Aucun négociateur ne pouvait, en l’état, présenter de meilleurs titres que Caulaincourt. Ami dévoué de l’empereur, mais non dévoué jusqu’à la courtisanerie qui voile la vérité, ami d’Alexandre, il pouvait beaucoup. Mais quelle puissance humaine aurait pu, en ce moment, effacer les faits accomplis et déchaîner d’autres événements ? Caulaincourt se heurta au mutisme de l’empereur Alexandre et il revint, dans la nuit du 2 au 3 avril, rapporter à l’empereur Napoléon son inutile mandat, préciser les volontés du vainqueur et lui demander l’abdication.

Abdiquer ! Napoléon avait sous la main 50 000 hommes. D’autres troupes, par bandes, venaient chaque jour rejoindre la seule armée qui fût prête. Les maréchaux Ney, Berthier, Oudinot, Macdonald, avaient rallié Fontainebleau. Il pouvait vaincre encore ; un détail n’échappa pas à sa perspicacité militaire. C’est que les alliés, redoutables encore le 31 mars parce qu’ils occupaient les hauteurs de Paris, avaient commis la faute de pénétrer dans la ville et de dégarnir des positions inexpugnables ; il fallait marcher, s’emparer des hauteurs, foudroyer la ville et ressaisir le destin rebelle qui ne s’obstinerait pas dans ses disgrâces. L’empereur Napoléon va inspecter les cantonnements ; des régiments de la garde l’acclament. Il répond par une proclamation belliqueuse et ces cris retentissent : « À Paris  ! à Paris  ! » Le 4, dans la matinée, l’ordre fut donné par l’empereur de porter son quartier général jusqu’à Ponthiéry. C’était la première exécution de la marche en avant.

Mais, si l’enthousiasme emportait les soldats et les officiers, l’amertume, et qui devait se changer en colère, animait les maréchaux et les généraux. Las d’une guerre éternelle qui ne laissait à leurs appétits que de courts loisirs pour se satisfaire, chargés de tous les titres, enrichis de toutes les dotations, éclairés de toutes les gloires, sans ambition puisque toutes leurs convoitises étaient comblées, ils s’insurgèrent, d’abord en silence, contre cet ordre. Et puis l’adroite diplomatie de Talleyrand avait visité ces héros qui, hors des champs de bataille, n’étaient que des hommes secondaires, victimes faciles de la plus grossière intrigue. Oudinot, surtout, à qui Talleyrand avait fait savoir que toutes les situations acquises demeureraient acquises, se montrait le plus révolté parmi ces esclaves de la veille qui avaient toléré le joug splendide. En communication avec Paris, à chaque heure ils sentaient accroître en eux leur esprit de résistance. Il fallait que Napoléon abdiquât puisqu’à ce prix étaient conservés leurs charges et leurs titres, et, pour substituer à cette raison un prétexte, ils invoqueraient la lassitude de l’armée, l’inutilité de l’effort, les impossibilités de l’opération.

Le matin du 5 avril, ils sont appelés en conseil par l’empereur. On ne sait rien de ce qui se passa dans cette entrevue tragique, rien, sinon que les