Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/49

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conduit, le 23 avril, par Talleyrand. Il fut peu de traités, même au lendemain de déroutes nationales, qui égalèrent celui-ci. Il cédait tout : les colonies, une partie de l’Inde, nos forteresses, nos canons ; en outre, la France, par lui, s’engageait à accepter, quel qu’il fût, le résultat du congrès de Vienne qui s’apprêtait ; de plus, huit millions étaient prélevés sur le budget en déficit pour payer les signataires de ce traité. En même temps, comme pour tenir la gageure de gouverner contre tous, c’était l’armée que le général Dupont frappait. On a peine à croire que la courtisanerie ait pu descendre à ce degré, ou la rancune contre l’empereur, auquel ce ministre devait, d’ailleurs, un injuste abaissement. Dès ses débuts, Dupont prend les mesures les plus propres à soulever des colères dans un milieu qui, déjà par les circonstances, était aigri. Certes, la Restauration ne pouvait, ne devait pas garder l’armée de l’Empire : elle se proposait un autre objet que le rapt permanent qui veut les armes prêtes et les mains promptes. Aussi, si la promesse de supprimer la conscription était une menteuse et irréalisable promesse, la France ne pouvant pas ne pas avoir de troupes, du moins le licenciement des soldats et des cadres en surcharge était-il une mesure juste et d’ailleurs nécessaire. Mais, aux yeux même d’une politique secondaire, cette mesure eût évité son propre danger qui était de créer un mécontentement redoutable, de faire de chacun des hommes renvoyés un agent violent d’opposition. Un tact incomparable était nécessaire ; on eut la lourde main de Dupont. Il supprimait des officiers, mais il organisait la maison royale, la dotait de compagnies innombrables, couvrait de galons et de croix de jeunes émigrés imberbes, d’un seul coup promus. Le comte d’Artois, le roi lui-même, ayant pris l’habitude de revêtir des uniformes, la courtisanerie parodia ce travestissement : il fallut donner des autorisations de colonels et de lieutenants-généraux afin de satisfaire à cette mode : naturellement, c’était le budget qui soldait ces caprices. Ce n’est pas tout : après avoir licencié 2 400 officiers, on renvoie 1 100 invalides dont le traité du 30 mai avait supprimé le titre de Français et qui se trouvaient être nés à l’étranger, on en renvoie 1 200 dans leurs foyers avec une pension dérisoire. Ce n’est pas tout encore : un projet reprend une ordonnance de 1751 qui exigeait, pour l’entrée dans les écoles militaires, un parchemin témoignant de cent ans de noblesse ; mais devant la répugnance de la Chambre on retira le projet. On en proposa un autre : sur quatre maisons de la Légion d’honneur, on en supprime trois. Même protestation, même retraite. Mais qu’importait ? Le coup était porté, l’intention perçait. Et si les actes eussent cessé d’être éloquents, restaient les paroles : un jour, le duc de Berri, qui s’essayait gauchement au métier de général, passa une revue. Un officier lui demanda la croix de Saint-Louis. — Pourquoi ? dit le duc. — J’ai servi trente ans la France. — Trente ans de brigandage ! s’écria le duc qui, d’ailleurs, croyant effacer la mauvaise impression produite, accorda la croix. On en accordait bien d’autres, avec des titres de marquis ! L’armée subissait, en cachant mal