en effet, on avait agité la question de savoir si Napoléon n’était pas, si près de l’Europe, un danger imminent pour elle, et si d’Italie, où fermentaient tant de passions, Murat, qui en pouvait devenir l’instrument, n’attirerait pas cet homme de rêve et d’action. Mais ces nouvelles ont mûri, elles n’ont pas fait naître en Napoléon un projet qu’il avait conçu au fond même du malheur.
Il regardait l’horizon et attendait l’heure, lorsque, vers la fin de février 1815, il reçut un envoyé du duc de Bassano, M. de Chaboulon. Ce dernier a donné immédiatement le récit — en 1820 — de son entrevue : il fit à Napoléon un saisissant tableau de la France, de sa colère, de sa fidélité, de sa fiévreuse attente. Aucun esprit n’est plus enclin à la crédulité que celui qui désire fortement un résultat. Napoléon prit son parti, et, maître de lui, ne laissant paraître que la flamme inquiète du regard, fit ses préparatifs. Le 27 février, avec 400 hommes, Bertrand, Drouot, Cambronne, il s’embarque sur le brick l’Inconstant, se réservant seulement de dire en pleine mer son projet à ses soldats transportés.
Fatale erreur d’un génie que l’ambition brûlait trop vite, lui dérobant tout sang-froid ! Au moment où Napoléon partait, le congrès de Vienne n’était pas encore dissous : Napoléon n’en avait connu que les querelles, et, sur la foi de ces disputes, il partait, les escomptant comme un commencement de désunion en Europe. Il ne se disait pas qu’il était le trait de concorde entre tous ces intérêts alarmés, et qu’à la seule nouvelle de son départ tous ces appétits hostiles se trouveraient unis dans une coalition défensive. Sans doute, la coalition se serait quand même formée, mais moins vite, et Napoléon avait surtout besoin de temps.
Il débarque le 1er mars à Fréjus, lit aux soldats sa première proclamation, rédigée en mer, leur rappelle leur gloire, leurs combats, les entraîne. En quelques jours, Napoléon a dépassé Grasse, arrive à Digne, profite de la présence d’une imprimerie, et lance une proclamation nouvelle. Il arrive à La Mure, où seul, la poitrine découverte, il s’offre aux troupes envoyées pour lui barrer la route et qui l’acclament. Rien ne l’arrête, il veut gagner Grenoble, sentant bien que tant qu’il n’aura que des troupes bigarrées sous la main et pas un point d’appui, il sera un aventurier et non un empereur. La ville, aux ordres du général Marchand, était défendue. Mais le colonel Labédoyère entraîne vers Napoléon son régiment. La ville est fermée. Napoléon se présente, proclame la destitution de Marchand, fait lever le pont-levis et pénètre aux acclamations populaires. Là, il est l’empereur. À peine il s’arrête, brûle les étapes, va arriver à Lyon. Le comte d’Artois et le duc d’Orléans, envoyés par la cour, avec Macdonald, sont obligés de fuir tout seuls vers Paris. La foule, le peuple, les soldats, toutes les classes fraternisent et mêlent leurs acclamations : « À bas les nobles ! À bas les prêtres ! » Ce cri, que l’empereur a entendu, surtout dans l’Isère, qui le suit, lui montre les