Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/60

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sincérité de ses propositions. L’Europe agita ses armes et, une fois de plus, la France devint le camp retranché sur lequel la fureur de tant de nations spoliées, y compris l’Espagne gagnée à la coalition, allait se précipiter.

Napoléon avait d’ailleurs prévu cet échec. Comment ne l’aurait-il pas deviné ? Qui pouvait, en France ou en Europe, croire à ses paroles de paix et s’imaginer que la main tant d’années crispée sur l’épée allait écrire tout à coup de douces idylles ? Son génie impétueux, violent, absolu, rapace, ce génie dont il avait été si souvent fier, maintenant se retournait contre lui. On ne pouvait, on ne voulait pas croire que, soudain, cette rage de conquêtes se fût concentrée en amour exclusif pour les œuvres de paix. On sentait que si un an, deux ans lui étaient laissés, il ferait une armée nouvelle, s’en servirait comme d’un instrument de rapt, de meurtre et de vengeance. Malheur aux imprudents monarques qui auraient laissé respirer le terrible ennemi : Quelles tempêtes sur leurs trônes, et quels châtiments sur leurs têtes ! Il valait mieux lutter tout de suite, alors que, vide de sang et de force, la France, encore meurtrie et, d’ailleurs, divisée contre elle-même, ne pouvait qu’un médiocre effort.

Certes, ces empereurs, ces rois ne représentaient pas l’Europe. Ils feignaient de se lever pour la liberté des peuples contre l’oppresseur. Or, au congrès de Vienne, ils avaient mutilé l’Europe, ils avaient foulé les nationalités et, par l’instrument diplomatique, commis les mêmes violences que Bonaparte par son épée. Ils ne défendaient pas que leur couronne, leur famille, leur prestige. Ils représentaient aussi le principe de la légitimité brisé par la France, et c’est en ce sens qu’on peut dire qu’à travers Bonaparte, bénéficiaire plus qu’héritier de la Révolution, ils voulaient châtier la nation deux fois insolente qui, en exécutant son roi, avait effleuré du glaive toutes les têtes couronnées, qui, en suivant sur les champs de bataille Bonaparte, avait pendant quinze ans jeté l’Europe dans la terreur et dans le sang. Le gouverneur des Provinces du Rhin appelait les soldats prussiens au partage anticipé de la nation française, et le Mercure du Rhin publiait ces lignes : « Si nous avons de justes motifs pour vouloir que Napoléon disparaisse de la scène politique comme prince, nous n’en avons pas de moins grands pour anéantir les Français comme peuple… Le monde ne peut rester en paix tant qu’il existera un peuple français… Qu’on le change donc en peuple de Neustrie, de Bourgogne, d’Aquitaine… »

Et le malheur, c’est que Bonaparte, pour son compte, représentait les mêmes privilèges, défendait la légitimité récente dont il était le robuste ouvrier. La nation allait rayer sa folie dernière, mais la nation n’était plus derrière lui. Ce n’est pas de sa cause qu’il était le champion ; il le vit bien de suite. Certes, il y eut dans l’armée un enthousiasme frénétique, et il serait injuste de passer sous silence bien des dévouements qui se sont manifestés. Carnot essaya de renouveler les miracles de la Révolution : on fondit