Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/64

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en ralliant le corps d’Erlon. Ney part, arrive devant la position qui lui apparaît comme abandonnée, s’arrête, comptant sur le lendemain pour agir. À ce moment, l’armée cessa d’être concentrée dans la main de Napoléon : obligé de la disposer pour ainsi dire en éventail, il confie l’aile gauche à Ney, l’aile droite à Grouchy, garde le centre. La journée du 16 va s’ouvrir.

Grouchy doit se diriger sur Sombref, et Ney sur les Quatre-Bras : ainsi la jonction de l’armée prussienne et de l’armée anglaise est impossible. Mais Blücher déjoue ce plan. Averti par la défection de Bourmont, il quitte Namur, où l’empereur le croyait, rallie ses troupes, marche vers l’armée anglaise, et l’empereur le trouve devant lui. Il voulait surprendre. Il est surpris.

Son rapide génie va faire surgir de cette situation une conclusion inespérée. Blücher s’est établi avec 93 000 hommes à Ligny : il faut que ce plateau entouré de ravins lui soit une tombe, et que là périsse l’armée prussienne. Que faire pour cela ? L’attaquer tout de suite. Mais il faut aussi, pour achever la victoire, que Ney revienne sur la gauche, se rabatte, après avoir pris les Quatre-Bras, et alors tout est fini. Ordres sur ordres partent vers Ney qui, dans la pensée de l’empereur, a dû, la veille déjà, occuper la position. On attend des nouvelles de Ney qui reste muet comme il demeurera invisible. Il faut attaquer. Vandamme et Girard se jettent sur Ligny, prennent, perdent, reprennent le village. Ce fut une tuerie formidable, Blücher charge lui-même, tombe de cheval : deux fois, les cuirassiers français passent sur lui sans le reconnaître. Enfin, il se relève. La nuit vient. Il est battu, mais non cerné. C’est que Ney, qui aurait dû l’achever, ne s’est pas montré.

Que faisait-il donc ? La veille du 16, pouvant occuper les Quatre-Bras, il ne l’avait pas fait. Le lendemain matin, lent à s’ébranler, il perdit du temps. Sur la position, il n’y avait qu’une brigade, celle du comte de Saxe-Weimar. Ney, d’un geste, eût acquis cette situation. Il laisse passer le temps, se plaint de manquer d’artillerie, attend. Mais Wellington a enfin été prévenu. La veille au soir, dans un bal, à Bruxelles, la terrible nouvelle l’a surpris en habit de fête. Il part, donne rendez-vous à tous aux Quatre-Bras. Dans l’après-midi du 16, il y avait une armée, là où la veille, le matin même, à peine quelques compagnies se montraient. Ney attaque, est repoussé, revient à la charge : cet inutile combat fut meurtrier, et 12 000 hommes en devaient de leur mort témoigner. Mais Ney fut rejeté, n’ayant pu avoir, pour le secourir, le corps de d’Erlon qui, ballotté entre lui et l’empereur, passa la journée, sous des ordres contradictoires, à évoluer entre le champ de bataille de Ligny et celui des Quatre-Bras. Faute capitale ! Si Ney avait agi à temps, l’armée de Blücher, qui s’échappa, aurait été anéantie, et l’armée anglaise isolée ne risquait pas Waterloo. La route était libre jusqu’à Bruxelles…

La journée du 17 juin fut pour l’armée française une journée perdue.