Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/103

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Cruellement offensé par ce vote et s’illusionnant sur sa puissance réelle, Lafayette essaya d’abord de peser sur le gouvernement et de le contraindre à dissoudre la Chambre, à modifier la loi électorale et à réaliser les « institutions républicaines » dont le trône avait promis de s’entourer. Mais le moment était passé, il avait payé de sa personne dans la répression de l’émeute et s’était ainsi fait solidaire des actes du nouveau régime. On savait à présent, d’autre part, la faiblesse du parti républicain, et cette constatation ne devait pas porter le pouvoir à lui faire la moindre concession. Lafayette perdit le sang-froid et donna sa démission. Louis-Philippe, qui avait pris une part très grande à la manœuvre, qui dépossédait Lafayette, lui écrivit une lettre hypocritement amicale dans laquelle il jouait la surprise et exprimait l’espoir de le faire revenir sur sa détermination.

Dans la séance du 27 décembre, Lafayette exprima son amertume et ses déceptions par les paroles suivantes : « Cette démission, reçue par le roi avec tous les témoignages de sa bonté ordinaire pour moi, je ne l’aurais pas donnée avant la crise que nous venons de traverser. Aujourd’hui ma conscience d’ordre public est pleinement satisfaite. J’avoue qu’il n’en est pas de même de ma conscience de liberté. Nous connaissons tous ce programme de l’Hôtel de Ville : Un trône populaire entouré d’institutions républicaines. Il a été accepté, mais nous ne l’entendons pas tous de même ; il ne l’a pas toujours été par les conseils du roi comme par moi, qui suis plus impatient que d’autres de le réaliser ; et, quelle qu’ait toujours été mon indépendance personnelle dans toutes les situations, je me sens dans ma situation actuelle plus à l’aise pour discuter mon opinion avec vous. »

Cette démission remit Lafayette en faveur auprès des républicains, qui s’employèrent de leur mieux à la rendre irrévocable. Ils firent ainsi le jeu de la cour. Le roi lança aux gardes nationales du royaume une proclamation plus hypocrite encore que sa lettre à Lafayette, et qui se terminait par ces phrases à la fois perfides et doucereuses : « Sa retraite m’est d’autant plus sensible, qu’il y a quelques jours encore, ce digne général prenait une part glorieuse au maintien de l’ordre public, que vous avez si noblement et si efficacement protégé pendant les dernières agitations. Aussi ai-je la consolation de penser que je n’ai rien négligé pour épargner à la garde nationale ce qui sera pour elle un sujet de vifs regrets, et pour moi-même une véritable peine. »

Indigné et découragé, Dupont (de l’Eure) quitta le ministère de la Justice, la préfecture de police fut ôtée à Treilhard et donnée à Baude, et Laffitte n’eut plus que le faible Odilon Barrot, demeuré à la préfecture de la Seine, pour l’aider à faire face aux difficultés, et surtout à servir de paravent aux projets de réaction concertés par le roi et les meneurs de la Chambre.

Cependant, celle-ci, tout en attendant les événements, continuait la discussion de la loi sur la garde nationale, qui fut votée le 22 mai 1831. Tous les citoyens valides en faisaient partie. Mais, comme de juste, on ne considérait comme citoyens que les contribuables pourvus d’une cote foncière. La masse du peuple ouvrier se trouvait donc écartée en fait. Le recrutement, certes, en était plus large