Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/118

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faire respecter. Pas de culte protestant dans le canton du Valais, et pas de culte catholique dans le canton de Vaud. Comment la liberté politique existerait-elle où manque la liberté religieuse ? Les cantons pauvres de la haute montagne avaient conservé leurs formes démocratiques ; mais, dès 1815, les riches bourgeoisies des grands cantons possédaient tous les privilèges civiques. Cependant, en 1829, un mouvement d’opinion se manifesta, que la révolution de Paris accrut et encouragea. Un pétitionnement fut organisé à Zurich, sur l’initiative d’un professeur allemand réfugié, Zuell, rédacteur du Républicain suisse. Au pétitionnement en faveur de la revision de la constitution succédèrent des manifestations dans tous les cantons régis par une constitution aristocratique. Le parti radical, groupé autour de Zuell, réclama par le Mémorial de Kussnach la souveraineté du peuple, le suffrage universel et l’élection directe des représentants. Les gouvernements cantonaux eurent la sagesse de ne point attendre que l’agitation devint révolutionnaire ; ils cédèrent l’un après l’autre, et les constitutions aristocratiques furent revisées.

La partie de la Pologne que les traités de 1815 avaient replacée sous la domination de la Russie avait reçu une constitution de l’empereur Alexandre. Cette constitution lui donnait une certaine autonomie administrative et militaire. Le grand-duc Constantin, frère du tzar, était placé à la tête du gouvernement polonais. Son caractère fantasque, ses irrégularités d’humeur, sa brutalité le firent promptement détester. L’insurrection qui éclata à Varsovie le 29 novembre 1830 ne surprit donc personne.

Le moment où se produisit ce soulèvement national ne pouvait qu’exalter les sentiments des libéraux et des révolutionnaires français pour la Pologne. Il est hors de doute, en effet, que l’insurrection du 29 novembre empêcha le tzar Nicolas de prendre l’initiative d’un mouvement des puissances du Nord contre la révolution qui venait de triompher à Paris et à Bruxelles. Pour décider ses alliés de Prusse et d’Autriche, encore hésitants, la Russie procédait à une concentration militaire. Elle devait servir à écraser l’insurrection polonaise.

L’occasion était unique de faire triompher à la fois les principes du libéralisme et de la nationalité dans toute l’Europe. Louis-Philippe le pouvait sans péril pour la France, au contraire. La Belgique indépendante, la Pologne reconstituée, l’Italie libérée, l’Espagne dotée d’une constitution, les princes allemands forcés de la consentir à leurs sujets, l’Angleterre libérale attachée plus que jamais au principe de la non-intervention, c’était l’Europe entrant en sécurité dans la voie du progrès pacifique.

Mais, il eût fallu qu’en Pologne la révolution fût véritablement nationale. Or, il y avait dans ce pays, où les prêtres dominaient les esprits, trois éléments irréductibles. Les nobles et les habitants des villes étaient patriotes ; mais la république des premiers était une république aristocratique reposant sur le servage des paysans. Les seconds étaient libéraux, fortement travaillés par l’esprit démocratique. Pour les paysans, c’était une masse corvéable ; beaucoup d’entre eux n’étaient Polonais que nominalement et seul le lien religieux les rattachait à