Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/129

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d’inflexibilité, vit des souvenirs de la Convention et dans le culte de son père le conventionnel. Il se défend dédaigneusement d’avoir voulu renverser le gouvernement par la force. On n’attaque pas un gouvernement qui est en train de se suicider. « Nous ne conspirons pas, dit-il, nous nous tenons prêts… Nous avons fait notre devoir envers la France, et elle nous trouvera toutes les fois qu’elle aura besoin de nous. »

Les témoins cités par la défense achevèrent d’intimider le ministère public et de méduser les juges. Lorsque Lafayette parut à la barre, l’auditoire tout entier se leva devant le vieux républicain qui venait se porter caution pour ses amis et prononcer leur éloge. Ce fut une débâcle pour l’accusation. Le président lui-même passait à l’ennemi, cachait à peine son désir de l’acquittement sous cette exhortation aux jurés : « Comme juges, si vous apercevez des coupables, vous sévirez ; mais si vous ne remarquez dans la cause que l’inexpérience et un enthousiasme irréfléchi, comme pères, vous saurez absoudre. »

Les dix-neuf accusés furent acquittés, aux acclamations de l’auditoire, qui fit à Trélat et à ses amis une escorte triomphale à travers les rues de Paris. De nombreux lampions parurent aux fenêtres. Le lendemain, on put croire que Paris soulevé allait relever les barricades et proclamer la République. Mais le peuple trouva en face de lui la garde nationale. Casimir Perier la renforça d’infanterie et de cavalerie. Les manifestants se dispersèrent après avoir évalué les forces de la bourgeoisie et leur propre faiblesse.

Le 5 juillet eurent lieu les élections, la Chambre ayant été dissoute le 31 mai. Casimir Perier, en ministre à poigne qu’il était, traça en ces termes à ses fonctionnaires leur devoir électoral : « Je vous dirai sans détour l’intention du gouvernement : il ne sera pas neutre dans les élections ; il ne veut pas que l’administration le soit plus que lui. » Les électeurs censitaires n’avaient aucune raison pour résister à une pression ainsi organisée. La majorité fut donc ministérielle.

Mais la minorité, d’ailleurs mêlée, avait à sa tête des hommes remuants : l’opposition modérée se groupait autour d’Odilon Barrot, et les libéraux proprement dits autour de Mauguin, du général Lamarque et d’Arago. La première bataille se livra sur la présidence de l’assemblée. L’opposition présentait Laffitte. Ce choix était habile. Son concurrent ministériel, Girod (de l’Ain), ne l’emporta que d’une voix. Casimir Perier, qui avait posé la question de confiance sur la nomination de son candidat, alla aussitôt porter sa démission au roi. La majorité s’accrocha aux basques de l’irascible ministre, qui consentit à rester.

Qu’était donc ce Girod, dont le maigre succès avait failli causer une crise ministérielle ? Par une sorte de bravade, Casimir Perier l’avait tiré de l’obscurité pour l’opposer à Laffitte, dont la popularité était grande, même parmi les députés ministériels. Était-ce donc uniquement pour éprouver son pouvoir sur la Chambre nouvelle que le ministre s’était arrêté à un tel choix ? Non, Casimir Perier connaissait son homme : il voulait à la tête de la Chambre un bon instrument ; il l’avait trouvé.