pas moins ses exigences envers le pouvoir. Cette révolution était la sienne, et elle n’entendait pas plus se la laisser confisquer par le roi qu’elle avait fait qu’en partager les profits avec le peuple. Elle l’avait montré lors de l’affaire des croix de juillet, où elle consentit bien à maintenir l’ordre dans la rue, mais où son attitude contraignit le ministère à dispenser les décorés du serment.
Elle le montra de nouveau en l’obligeant à proposer l’abrogation de l’article 23 de la charte qui maintenait l’hérédité de la pairie. C’était déjà bien assez pour elle que le trône fût héréditaire, sans que les membres de la haute assemblée le fussent aussi. Casimir Perier se résigna de mauvaise grâce à déposer le projet de loi qui abrogeait cet article, emprunté par la Restauration à la constitution anglaise. À vrai dire, l’hérédité de la pairie avait un sens dans celle-ci, il n’en avait aucun dans la nôtre. Les révolutions anglaises avaient été de successifs compromis entre l’aristocratie terrienne et la bourgeoisie grandissante, tandis que cette révolution-ci avait été faite directement contre notre aristocratie au profit d’une bourgeoisie résolue à exercer seule le pouvoir.
Parmi les députés qui se prononcèrent pour le maintien de l’hérédité, Thiers, Guizot, Royer-Collard figurèrent au premier rang. Dans son Histoire de Dix ans, Louis Blanc démontre aux Rémusat et aux Odilon Barrot, aux Salverte et aux Lafayette, qu’ils commettent une inconséquence en touchant au principe de l’hérédité. Si l’on détruit celle de la pairie, que devient celle du trône ? « Quoi ! leur dit-il, vous ne comprenez pas que la royauté a besoin, pour vivre, d’avoir autour d’elle une classe qui ait le même intérêt, ou si vous voulez, le même privilège à défendre ?… Sachez-le bien, la République est au bout de votre système. »
Elle n’était pas au bout, mais au fond même. Louis Blanc raisonne comme si la logique devait gouverner les actions des classes au pouvoir ou en lutte pour le pouvoir, alors qu’elles sont obligées de s’accommoder de toutes les contradictions que leur imposent les faits, contradictions d’ailleurs apparentes. Ce n’était pas en vain qu’un principe nouveau, le principe d’égalité, avait été proclamé quarante ans auparavant. La force des choses contraignait la bourgeoisie triomphante à lui rendre hommage : l’hérédité du pouvoir politique ne dût-elle avoir pour bénéficiaires que des fils de la bourgeoisie, cette bourgeoisie ne pouvait l’accepter. L’hérédité du pouvoir économique, moins apparente, lui suffirait ; elle choquait moins le sentiment commun, tout en lui assurant la réalité du pouvoir politique.
Lorsque Louis Blanc demande si ceux qui voulaient abolir l’hérédité de la pairie avaient « compris qu’au nom des mêmes principes on leur demanderait l’abolition de l’hérédité dans l’ordre social », il fait œuvre de logicien pur. Il est certain que cette logique est irréfutable et qu’il n’y a aucun argument valable (contre la transmission des fonctions publiques, qui ne soit applicable dans un pays où la richesse donne exclusivement droit aux plus hautes fonctions, et où l’on n’est député que lorsqu’on est riche ».
Mais il oublie que jusque là le principe de l’hérédité des biens n’a encore reçu aucune atteinte sérieuse, tandis que celui de l’hérédité politique a été profondé-