Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/146

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autant qu’il le redouta. Et, au lieu de l’utiliser contre l’ennemi, il tenta de l’énerver et de l’emprisonner dans les fortifications de la capitale.

Armé de la dictature par la diète, il s’appliqua beaucoup plus à contenir Varsovie qu’à réorganiser la défense nationale. Il ne réussit ainsi qu’à exaspérer dans l’inaction, et la jeter à l’émeute, une population impatiente qui ne tarda pas à le considérer comme traître à la cause de l’indépendance ; et tout son effort fut désormais tourné contre des mouvements populaires sans cesse renaissants.

Les généraux polonais tenaient la campagne avec des chances diverses. Skrynecky battait les Russes à Grochow et à Wawer, mais ces victoires étaient sans lendemain. L’immense armée russe s’ébranlait du fond des steppes, tandis que la Prusse lui faisait passer ouvertement des armes, des munitions et des vivres. Par crainte de voir se soulever la Galicie, l’Autriche observait mieux les apparences de la neutralité. Vinrent les revers. Dvernicki, battu, était refoulé en Autriche, où ses troupes étaient désarmées. Skrynecky essuyait une défaite décisive à Ostrolenska, et les armées russes, tournant Varsovie, s’adossaient à la Prusse, d’où leur venait une aide efficace.

Ces revers mettaient Varsovie en révolte. De furieux mouvements démagogiques y éclataient. On accusait de trahison et l’on décrétait d’accusation les généraux qui s’étaient laissé battre ; des bandes exaspérées se ruaient sur la prison où ils étaient enfermés, et les massacraient. Pour achever la défaite des armées polonaises, le choléra les décimait.

Un nouveau gouvernement fut institué, et la dictature donnée à Kuskoviecski. L’armée russe, forte de 120.000 hommes, s’avançait sur Varsovie, défendue par 80.000 hommes, débris des troupes ramenées par Dembinski. Épuisés par les fatigues et les privations, démoralisés par les défaites précédentes, les Polonais, après un essai infructueux de négociations avec le général Paskiewitch, acceptent le combat et sont vaincus. C’est la fin. Varsovie capitule.

La constitution est abrogée par le tsar, l’administration relativement autonome de la Pologne est supprimée et la direction des grands services transférée à Saint-Pétersbourg. L’ère des représailles commence, et les vaincus les plus compromis, dont les biens sont confisqués, prennent le chemin de l’exil. Nombreux furent ceux qui vinrent se fixer en France. Il se produisit alors dans notre pays un admirable élan de pitié fraternelle : partout on se serra pour faire place aux nouveaux venus et leur assurer l’existence.

Varsovie avait capitulé le 7 septembre. Le funeste événement fut connu à Paris le 15 ; il y souleva une émotion indescriptible qui s’exprima par de violentes explosions de fureur contre le gouvernement. Le lendemain, il était interpellé à la Chambre. Ce fut à cette occasion que le général Sébastiani prononça cette parole qui demeure inoubliablement attachée à sa mémoire :

L’ordre règne à Varsovie.


La discussion reprit le 19. L’opposition reprocha au gouvernement, qui invo-