Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/182

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lui valut d’être déféré au jury, qui l’acquitta, c’est bien la pensée révolutionnaire et égalitaire de Babeuf qui a pris le dessus. Cette brochure, intitulée Boutades d’un homme riche à sentiments populaires, constate que, sur huit milliards de revenus produits par la France, deux vont « aux riches et aux oisifs qui », dit-il au peuple, « rejettent sur vous toute la charge ». Et il ajoute :

« Vous manquez à tous vos devoirs envers Dieu, envers vous-mêmes, envers vos femmes, envers vos enfants, les auteurs de vos jours, s’ils vivent encore, et surtout envers vos enfants si, après un soulèvement suivi de succès, vous êtes assez lâches et assez ignorants pour vous borner à exiger une amélioration de tarif ou une élévation de salaires ; car ceux-ci, fussent-ils triplés, ne représenteraient pas encore votre portion virile dans l’héritage social ; et de plus, tant que vous laisserez les riches en possession de faire seuls les lois, quelques concessions qu’ils vous fassent, ils sauront bien vous les reprendre avec usure. »

Charles Teste, son ami, qui avait été poursuivi en même temps que lui comme imprimeur de cette brochure, vivait pauvrement en donnant des leçons. La librairie qu’il dirigea pendant quelque temps était nommée la Petite Jacobinière. Nous avons vu qu’en 1830 il fut de ceux qui essayèrent d’empêcher La Fayette de se prêter à la réédification du trône. Il devait être avec Buonarotti, Voyer d’Argenson et Blanqui un des plus ardents propagandistes du communisme dans le parti républicain.

Son « projet de constitution » qu’il publia, instituait la démocratie directe et organisait la répartition de la propriété par les soins du peuple. Mystique, lui aussi, il voulait donner à sa constitution une base religieuse ; mais il lui fallut ménager sur ce point les sentiments de plusieurs de ses amis, dont fut certainement l’athée et matérialiste Blanqui, et y renoncer. Tout au moins l’esprit de Jean-Jacques et de Robespierre revit-il dans le passage où il déclarait que « l’oisiveté doit être flétrie comme un larcin fait à la société et comme une source intarissable de mauvaises mœurs », et surtout dans l’institution de comités de réformateurs chargés de veiller sur les mœurs publiques, afin que les droits de citoyen ne fussent accordés qu’à des hommes irréprochables.

Parmi les autres républicains animés de la pensée communiste, il faut citer Mathieu d’Épinal, organisateur d’une Charbonnerie démocratique dans l’Est, dont l’objet était de « rattacher à un centre commun tous les amis de l’égalité, quels que soient leur pays et leur religion ; » Ballon, auteur d’un excellent petit résumé du livre de Babeuf, publié après 1830 sous le titre de Système politique et social des Égaux ; Joseph Rey, de Grenoble, ami de La Fayette, qui fit le premier connaître en France la pensée de Robert Owen, mais dont on ne trouve pas trace dans l’action républicaine après 1830 ; enfin Cabet, qui devait plus tard, au contact de Robert Owen, transformer la théorie communiste reçue de Buonarotti tout en en respectant les lignes principales : démocratie autoritaire et égalité absolue dans la communauté de tous les biens.

Mais au moment où nous parlons, Cabet est uniquement connu comme démo-