Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/184

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conditions d’insalubrité et de délabrement physique dans lesquelles se trouvaient les ouvriers et leurs familles, à Paris comme en province.

Voici, à ce sujet, ce que constatait, à la date du 1er avril 1832, le conseil de salubrité du département du Nord dans son Rapport à la Municipalité de Lille sur les moyens à prendre immédiatement contre le choléra morbus :

« Il est impossible de se figurer l’aspect des habitations de nos pauvres, si on ne les a visitées. L’incurie dans laquelle ils vivent attire sur eux des maux qui rendent leur misère affreuse, intolérable, meurtrière. Leur pauvreté devient fatale par l’état d’abandon et de démoralisation qu’elle produit… Dans leurs caves obscures, dans leurs chambres, qu’on prendrait pour des caves, l’air n’est jamais renouvelé, il est infect ; les murs sont plâtrés de mille ordures… s’il existe un lit, ce sont quelques planches sales, grasses ; c’est de la paille humide et putrescente ; c’est un drap grossier dont la couleur et le tissu se cachent sous une couche de crasse ; c’est une couverture semblable à un tamis… Les meubles sont disloqués, vermoulus, tout couverts de saletés. Les fenêtres, toujours closes, sont garnies de papier et de verres, mais si noirs, si enfumés, que la lumière n’y saurait pénétrer ; et, le dirons-nous, il est certains propriétaires (ceux des maisons de la rue du Guet, par exemple), qui font clouer les croisées, pour qu’on ne casse pas les vitres en les fermant et en les ouvrant. Le sol de l’habitation est encore plus sale que tout le reste ; partout sont des tas d’ordures, de cendres, de débris de légumes ramassés dans les rues, de paille pourrie ; des nids pour des animaux de toutes sortes : aussi, l’air n’est-il plus respirable. On est fatigué, dans ces réduits, d’une odeur fade, nauséabonde, quoique un peu piquante, odeur de saleté, odeur d’ordure, odeur d’homme… — Et le pauvre lui-même, comment est-il au milieu d’un pareil taudis ? Ses vêtements sont en lambeaux, sans consistance, consommés, recouverts, aussi bien que ses cheveux, qui ne connaissent pas le peigne, des matières de l’atelier. Et sa peau ? Sa peau, bien que sale, on la reconnaît sur sa face ; mais sur le corps, elle est peinte, elle est cachée, si vous le voulez, par les insensibles dépôts d’exsudations diverses. Rien n’est plus horriblement sale que ces pauvres démoralisés. Quant à leurs enfants, ils sont décolorés, ils sont maigres, chétifs, vieux, oui, vieux et ridés ; leur ventre est gros et leurs membres émaciés ; leur colonne vertébrale est courbée, ou leurs jambes torses ; leur cou est couturé, ou garni de glandes ; leurs doigts sont ulcérés et leurs os gonflés et ramollis ; enfin, ces petits malheureux sont tourmentés par les insectes »…

Villermé, qui cite ce rapport, estime que « la partie qui concerne les enfants » lui « paraît un peu exagérée ». Il oublie que, lorsqu’il visita Lille, le choléra avait contraint les pouvoirs locaux à prendre quelques mesures de salubrité qui avaient un peu atténué l’effroyable misère physiologique constatée par les enquêteurs officiels de 1832.

Il en fut d’ailleurs de même à Lodève, où il rapporte « qu’avant le choléra on tenait toujours exactement fermées celles (les fenêtres) des filatures », et que « la crainte de la maladie » les fit ouvrir en 1832 et 1833.

Dans cette épreuve, la bourgeoisie reçut du choléra une terrible et salutaire