Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/186

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rougeâtre. Vérification faite, la pâte rougeâtre est du savon ; la matière blanche de la farine ; les bonbons colorés des dragées ordinaires. Les hommes se disant empoisonnés, ou sont réellement atteints du choléra, ou simulent des convulsions. Quant au puits du faubourg Saint-Antoine, son eau, soigneusement examinée, est reconnue d’une salubrité parfaite. »

Les saint-simoniens essayèrent de réagir contre cette panique, et surtout pressèrent le gouvernement de relever le moral des populations « par l’ouverture de grandes entreprises et même par des fêtes… qui soient pour le peuple un signal de l’ère de santé, de bien-être et de gloire ». Les journaux monarchistes ayant critiqué ces propositions, le Globe leur répondit par cette apostrophe qu’on peut encore aujourd’hui, au nom de l’idéalisme novateur, lancer à la face du réalisme conservateur, aveugle et sourd :

« Prévenir le délire de l’âme et des sens, faire justice à tous et tarir enfin à sa source la contagion des vols et des assassinats !… Oh ! vraiment, c’est une idée folle ! pure vision ! Les juges et les bourreaux ne sont pas des rêveurs. Ils ont été semblables en face du fléau, ces conseillers du peuple, aux conseillers du roi devant l’ulcère des travailleurs. Quand l’émeute gonfle et se répand dans la rue, le conseil s’assemble et fait venir ses murailles hérissées de fer, et l’émeute est cernée, foulée jusqu’au sang dans un triple rang de baïonnettes. Mais remonter à l’écume bouillonnante, à la plaie qui brûle et qui déborde, aller aux greniers des villes, aux huttes des champs, aux hangars, aux ateliers misérables, là où il n’y a ni pain ni travail assuré et tarir enfin à sa source la contagion de l’émeute et de la faim, oh ! vraiment, pure vision ! les conseillers du roi ne sont pas des rêveurs. »

L’agitation causée par les bruits d’empoisonnement fut encore excitée et portée à son paroxysme par une mesure que prit l’administration municipale, dictée cependant par le souci d’hygiène que le choléra lui imposait. Le bail de l’entrepreneur chargé d’enlever les ordures ménagères étant expiré, le nouvel adjudicataire fut mis en demeure de faire passer une voiture le soir, afin de ne pas laisser séjourner les immondices toute une nuit dans la rue.

Mais cette mesure de salubrité privait les chiffonniers de leur pain, puisque c’est surtout la nuit qu’ils glanent de leur crochet dans les détritus, et l’on n’avait pas songé à cela. Ils s’ameutèrent, arrêtant les tombereaux, les démolissant ou les jetant à la Seine. Les charretiers furent maltraités violemment. Les journaux républicains se prononcèrent avec violence contre l’imprévoyance administrative. Les échauffourées s’aggravèrent, l’émeute gronda un instant, mais la garde nationale, qu’on ne vit jamais hésiter à marcher contre les prolétaires, en eut assez facilement raison.

Épuisé par les fatigues d’un moment politique exceptionnellement tourmenté, déjà gravement atteint lorsqu’il avait accepté le pouvoir, Casimir Perier ne put résister aux atteintes du choléra. Il mourut le 16 mai, après avoir accompli l’essentiel de sa tâche de réaction, libérant ainsi Louis-Philippe de toute reconnaissance.

La haine appelle la haine. Celle de Casimir Perier contre les adversaires du